Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

charge morale sur les autorités locales que leur voisinage et leur intérêt immédiat rendent propres à y exercer une certaine vigilance. Quels que doivent être les effets de ces prescriptions, on ne peut en méconnaître la sagesse. »

Le second point concerne le programme et la matière de l’enseignement. Ici la difficulté est de distinguer avec quelque netteté l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire. Au XVIIe siècle, l’enseignement des filles était réduit au niveau le plus élémentaire. L’abbé Fleury se plaignait de cette pauvreté et il est un des premiers qui aient proposé pour les femmes un programme un peu plus élevé ; mais ce programme est encore singulièrement étroit. Il en retranche, par exemple, la littérature et l’histoire, c’est-à-dire tout ce qui fait l’âme et la vie d’une éducation féminine. On y remarquera cependant quelques vœux, auxquels le nouveau programme s’est efforcé de satisfaire : à savoir des notions d’économie domestique, d’hygiène et de jurisprudence. Fénelon va plus loin que l’abbé Fleury ; il permet la lecture des livres profanes qui n’excitent pas les passions, les histoires grecque et romaine ; là les jeunes filles verront des prodiges de courage et de désintéressement ; il recommande « qu’on ne leur laisse pas ignorer l’histoire de France, qui a aussi ses beautés. » On remarquera ce qu’il y a d’étrange dans cette manière permissive de recommander l’histoire de France. Il interdit l’italien et l’espagnol, qui ne servent guère qu’à lire « des livres d’amour, » mais il ne proscrit pas absolument le latin. Il y avait là, pour le temps, un programme relativement large et élevé. Le programme de Saint-Cyr est plus terre à terre. Point de latin, ni de langues étrangères ; peu de lecture. De l’histoire juste ce qu’il en faut a pour ne pas confondre un empereur romain avec un empereur de la Chine. » Mme de Lambert est plus libérale et plus hardie. Il est vrai qu’elle s’adresse aux filles de qualité. Elle proteste contre Molière, qui peut-être, en effet, lorsqu’on suit cet historique, ne paraît plus avoir eu, dans les Femmes savantes, aussi raison que nous sommes habitués à le croire. Il pourrait bien avoir pris le mauvais côté de la question, et pour condamner quelques excès, compromis la cause du progrès sérieux. Mme de Lambert défend un programme aussi sage qu’élevé. Elle se borne aux connaissances utiles. Elle aime l’histoire grecque et l’histoire romaine, qui nourrissent le courage par l’exemple des grandes actions ; elle exige l’histoire de France avec plus d’insistance que Fénelon : « Il n’est pas permis d’ignorer l’histoire de son pays. » Elle n’interdit même pas la philosophie si les élèves en sont capables. L’abbé de Saint-Pierre ajoute à ce programme un élément nouveau : quelque connaissance des sciences. Il demande qu’on apprenne aux