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des excès de toute sorte, avait besoin de calmer ses nerfs, et de se rafraîchir le sang par une diète sévère.

Il ne lui offrit que les alimens les plus sains. Montaigne, La Fontaine, Boileau, Racine, Fénelon, Bossuet, Massillon, La Bruyère, voilà les auteurs que préfère un abbé doublement orthodoxe, et qui, à force de vanter le XVIIe siècle, croyait un peu en être lui-même. Il en devisait comme un contemporain et semblait avoir découvert les chefs-d’œuvre qu’il célébrait avec le piquant de l’à-propos, comme s’ils gardaient toute leur fraîcheur de nouveauté première. Ces transports répondaient aux vœux de l’opinion, heureuse de retrouver des génies calomniés, et de les rétablir dans leur gloire. C’était justice : mais pourquoi faut-il que tout le XVIIIe siècle ait payé les frais de cette restauration, sous laquelle éclatent encore des haines succédant à d’autres haines? Ceux qui proscrivirent alors les rois de la veille, Diderot, Voltaire et Jean-Jacques, tous ces émigrés qui les chargeaient de leurs anathèmes, n’auraient-ils pas dû se rappeler qu’ils avaient été complices de la révolution? Car elle était toute récente l’époque où l’on parlait d’indépendance dans les camps, de démocratie chez les nobles, de morale dans les boudoirs, où l’on frondait les puissans de Versailles tout en leur faisant la cour, où les prélats quittaient leur diocèse pour briguer des ministères, où des cardinaux rimaient des contes licencieux, et où tous les grands seigneurs fêtaient la philosophie, sauf à la maudire, quand elle descendit de leurs hôtels dans la rue. En se déclarant contre les ennemis de sa foi, M. de Féletz ne se reprocha pas du moins une palinodie ; et, dans cette guerre de croyance, sa modération prouva la constance de ses principes : car il n’avait pas, comme d’autres, des faiblesses à se faire pardonner.

Tant que l’empire autorisa ces hostilités, M. de Féletz se distingua parmi les plus valeureux; mais le jour vint où Napoléon étouffa d’un mot une réaction qui avait des visées monarchiques. Alors, chacun des croisés s’assoupit de son côté: M. de Bonald, dans une sinécure universitaire; Fontanes, au pied du trône, dans les douceurs du panégyrique; M. de Féletz, dans les salons du faubourg Saint-Germain, où, câliné par des douairières, il s’accoutuma peu à peu aux longues causeries, aux redites, aux complimens et aux fades gentillesses. C’est de là que sortirent bien des pages qu’on admira par habitude, mais qu’énervait une incurable anémie. Nous en excepterons pourtant les études qui avaient trait à l’histoire des mœurs, et à ces salons d’autrefois qu’il dépeint au vrai, sans illusion et sans amertume; car il finit par se pacifier, comme tous ceux qui, après des épreuves dignement traversées, passent à l’état d’hommes heureux.