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d’une indicible béatitude? Quand la dinde truffée est tombée du ciel pour se poser au centre de votre table, vous êtes-vous écrié avec transport : Salut ! astre bénin, etc. » Dans ces accens on reconnaît un fin gourmet : aussi rendent-ils plus méritoires encore les délicatesses de conscience qui privèrent souvent Hoffman d’excellens dîners. Ce critique ingénieux et si dévoué à ses devoirs était un académicien désigné; mais, effrayé par la perspective de trente-neuf visites, il ne put se décider à tant de démarches. Il sied d’autant plus de payer un tribut d’estime posthume au souvenir trop effacé d’un honnête homme qui fut original dans tous les sens.


IV.

Pour passer d’Hoffman à Dussault, descendons les degrés qui vont au médiocre. Né le 1er juillet 1769, à Paris, fils d’un médecin militaire, élève de Sainte-Barbe, lauréat de concours, il était maître d’études au collège du Plessis lorsque la révolution le chassa de ce poste, qui pourtant ne devait pas être fort envié. L’Orateur du peuple lui offrit alors un asile. Dans ce journal « inspiré, dit Féletz, par les Furies plus que par les Muses, » il fit parfois entendre la voix de la justice et de l’humanité, mais non sans paraître solidaire des violences qu’il voulait adoucir ou réparer. Après le 9 thermidor, il se dégagea de cette responsabilité fâcheuse, et quelques écrits politiques empruntèrent à l’à-propos d’une question religieuse un retentissement qui eut ses échos jusque dans la province. Rœderer ayant hautement affirmé que « le décadi mangerait le dimanche, » c’est-à-dire que l’institution consacrée par l’église serait abolie par la fête laïque du calendrier républicain, Dussault plaida la thèse contraire dans une lettre où il célébrait les vertus de Madame Elisabeth. Ces préludes sont d’un écolier brillant qui vient de quitter les bancs; l’amplification y domine; il y a là plus de mots que d’idées. Malgré ce défaut qui sera incurable, le débutant fut encouragé par les suffrages publics de La Harpe : rare faveur que suivit pourtant une brouille prochaine. Mais abrégeons ces préliminaires ; car, après avoir collaboré au Véridique, et encouru les risques de la déportation, Dussault ne devint une façon de personnage qu’à dater du jour où il entra aux Débats, en janvier 1800, pour ne les quitter qu’en septembre 1817[1].

Nul ne fut alors plus ardent à exploiter « les saines doctrines; » et ce zèle lui valut une vogue peu justifiée par la lecture des

  1. Il y eut deux ans d’interruption, de 1803 à 1805.