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plus grand des poètes qui aient jamais existé. » Ceci paraîtrait maintenant un peu naïf même au moins cultivé des lecteurs ; eh bien ! c’était une révélation pour quelques-uns de nos arrière-grands-pères, dont l’adolescence commença au moment où un ouragan culbutait toutes les institutions de la vieille France, sans que la nouvelle pût encore surgir de ces ruines. Il y aurait donc ingratitude à sourire de ces efforts honnêtes pour rétablir une tradition interrompue; car ce fut à leurs fils que tant de parens songèrent, en applaudissant aux travaux modestes par lesquels l’Université récente préludait à son œuvre d’avenir. Voilà pourquoi tout ce qui intéressait l’école devint à ce point populaire qu’un contemporain put dire : « On ne voit sortir des presses que des livres d’éducation[1]. »

Le signal de cette initiative était venu de Napoléon, qui eût été merveilleusement habile à organiser les conquêtes de la révolution, s’il n’avait pas eu peur de la liberté. Ce fut cependant pour elle qu’il travailla, sans le vouloir, en ouvrant ces lycées d’où s’élança bientôt la jeunesse généreuse de 1815. Parmi les symptômes d’une émulation qui préparait de meilleurs jours, notons les hommages rendus à Rollin, dont les éditions se multiplièrent à l’envi. On fêta surtout le Traité des études, « comme la plus éloquente censure des méthodes vainement essayées par dix années de charlatanisme. » Si des arrière-pensées politiques se mêlaient à ces sympathies, elles attestèrent du moins un retour au respect des maîtres, dont la gloire était depuis trop longtemps éclipsée par un injurieux oubli.

Des questions de goût, et des controverses sur la prééminence du XVIIe ou du XVIIIe siècle, telles furent donc les seules distractions qui, succédant aux débats orageux de la tribune, trompèrent l’ennui de l’empire pendant les entr’actes du drame militaire. Encore ces divertissemens de la pensée ne se donnaient-ils pas librement carrière ; car, lorsque les journaux ressemblaient à des fiefs distribués à des vassaux par le ministre de la police, il n’y avait nulle sécurité pour qui ne voulait pas se vendre. Quand les livres étaient mis au pilon, la liberté des juges littéraires fut celle du prisonnier qui se promène dans un préau, sous l’œil d’un geôlier. Pourtant, malgré les contraintes d’une situation subalterne ou précaire, nous devons un souvenir aux principaux écrivains qui, dans le Journal des Débats, représentent la critique de l’époque impériale.

  1. Annales de Dussault.