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un article du Mercure[1], Fontanes disait : « Loin d’être épuisées, toutes les matières sont neuves ; car, tout ce qui était sage et utile a été contesté ou avili. C’est le droit, ou plutôt le devoir des maîtres de tout raffermir, de tout remettre en honneur. » Oui, les idées justes étaient tellement méconnues que le rappel de souvenirs effacés passait pour invention. Parlant à un public qui n’avait rien appris, ou avait tout oublié, les écrivains purent donc recommencer l’éducation des intelligences, et leur faire un cours de principes élémentaires, sans s’exposer au risque de rebuter l’attention par des lieux-communs, ou des vérités trop souvent redites. De là vient qu’il y eut une opportunité salutaire dans ces leçons que nous jugeons superflues. Rien n’était usé pour des lecteurs depuis longtemps sevrés d’instruction, et qui comprenaient la nécessité de se mettre en quelque sorte à l’école. Voilà pourquoi les critiques les mieux accueillis furent alors ceux qui ressemblaient le plus à des instituteurs.

Du reste, la politique leur cédait le pas ; car elle se bornait à tenir le registre des lois et des actes officiels : en dehors de la question anglaise, que Napoléon abandonnait volontiers aux journaux, pour simuler l’entrain d’un mouvement national, le monde des idées militantes était donc, lui aussi, fermé par un rigoureux blocus. Dans ce vide, la littérature devint une ressource. Soumise à la surveillance d’une police qui ne lui permettait aucun écart, elle dut sans doute se faire humble et discrète pour avoir, la vie sauve ; mais, à ce prix, elle n’excita pas trop les ombrages d’un maître qui vit avec plaisir la curiosité des hautes classes se porter vers des questions innocentes, et propres à servir de dérivatif aux souvenirs, aux regrets, ou aux espérances.

Dans cet asile se réfugièrent la plupart des plumes privées d’emploi. Parmi tant d’interdictions, force leur fut de s’ingénier pour découvrir des sujets de causerie ; et les plus habiles chasseurs ne levaient qu’un assez : maigre gibier. Il fallait bien se contenter des premiers livres venus, et, faute de mieux, donner le coup de grâce à une foule d’auteurs ridicules qui, aujourd’hui, n’auraient besoin d’aucune aide pour mourir solitairement, dans l’ombre. En ces jours de chômage, c’était une bonne aubaine que l’apparition de la moindre brochure, et même d’une simple préface. Un almanach obtenait la faveur d’un compte-rendu aussi légitimement qu’un poème épique. On souhaitait la bienvenue à un discours de distribution prononcé dans une école perdue au fond de la Bretagne[2]. Un académicien,

  1. Mercure, novembre 1809. Article sur le discours de M. Teissèdre, professeur de belles-lettres au lycée Louis-le-Grand.
  2. Par exemple, au discours de M. Maillet-Lacoste, professeur à l’école de M. Laurent, à Brest.