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tout de l’Europe, et passant à peine quelques mois au pouvoir, que la France peut aspirer à jouer un pareil rôle? Est-ce avec des parlemens animés des passions les plus mesquines, ou des pouvoirs public sacrifiant l’indépendance et honneur nationaux aux exigences des partis avancés, que notre pays peut se proposer de telles entreprises? On a souvent dit que c’était un grand malheur pour l’Europe quand la France venait à lui manquer. Jamais cette parole n’a été plus vraie qu’aujourd’hui. L’effacement de la France, — j’allais écrire sa disparition, — prépare un avenir auquel il est difficile de songer sans douleur. Notre siècle risque de finir dans les plus sombres luttes, la plupart des peuples ayant manqué leurs destinées, et les autres n’ayant demandé l’accomplissement des leurs que la force brutale, à la négation du droit et de la liberté.

Enfermé dans l’égoïsme d’un patriotisme exclusif, on pourrait se consoler cependant si la France n’était pas du nombre des nations qui auront le plus à souffrir de ces cruelles perspectives. Mais s’il est vrai que, lorsque la France disparaît, il n’y a plus d’Europe ; en revanche, quand il n’y a plus d’Europe, la France est bien près de n’être plus. Notre grandeur est liée à l’équilibre général. C’est à la fois notre gloire et notre péril. Une politique extérieure qui se désintéresserait des grands mouvement dont l’Europe est agitée, et qui ne ferait rien pour en diriger la marche préparerait donc à notre pays de lamentables destinées, elle achèverait l’œuvre commencée par l’empire; elle rendrait notre ruine irrémédiable. J’ai dit en commençant qu’on ne s’en apercevrait peut-être pas tout de suite; mais plus les événemens tarderaient à se produire, plus ils seraient funestes lorsqu’ils se produiraient. Or il n’est pas nécessaire d’étudier bien attentivement la politique suivie en ces dernières années par nos différens ministères pour reconnaître qu’elle nous a placés dans la situation d’un peuple sans influence au dehors. Et quand je parle de la politique de nos différens ministères, je me sers sans dont d’une expression impropre, car peut-on appeler politique une série d’abdications, de faiblesses, d’efforts avortés, auxquels n’ont jamais présidé des vues d’ensemble, des projets sérieux d’avenir? C’est le hasard qui a tout fait. Personne, avant d’agir, n’a étudié les grandes forces de l’Europe ; personne n’a cherché à se rendre compte de l’état général du monde et de la conduit q il devait nous imposer. S’il se fût rencontré quelqu’un pour le faire, peut-être aurait-on compris la nécessité de tenir compte des intérêts extérieurs de la France dans la gestion de ses affaires intérieures; et peut-être l’espoir d’attirer des alliés nous aura-t-il décidés à respecter, les sentimens qui dominent partout autour de nous.

C’est pourquoi, sans être pessimiste, sans se donner des airs de mauvais prophète, on peut se demander, dès aujourd’hui, quelle