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dans la main de l’Allemagne l’aiguillon qui pousse l’Autriche en avant. D’ailleurs l’Italie est trop réaliste pour se souvenir du passé; et dans le présent et l’avenir, elle ne voit en nous qu’une gêne, peut-être qu’un péril. Nous avons à ses yeux le tort grave de n’être pas morts, après l’avoir mise au monde, de manière à lui livrer tout de suite notre héritage sur la Méditerranée, auquel il lui semble que sa naissance lui donnait des droits indéniables, comme la dernière des filles des races latines, à la tête desquelles nous sommes demeurés trop longtemps. En gardant notre bien, nous lui causons, parait-il, un vrai dommage ; elle est si persuadée de nos torts envers elle, qu’elle s’imagine que nous la menaçons. Depuis plusieurs années déjà, elle cherchait en Allemagne un appui contre cette menace; mais jusqu’ici on avait répondu de Berlin à ses avances avec une froideur légèrement méprisante. Tout a changé quand l’Autriche a eu de vagues instincts d’indépendance. L’Italie est devenue alors l’élément utile, indispensable, d’une politique qui devait se servir de la France comme d’un épouvantail. Il ne faut pas oublier, en effet, par quel moyen, par quelle habileté on a fait accepter à Vienne la triple alliance, on en a adouci l’amertume et déguisé la pointe. C’est en la représentant comme une ligue de préservation contre la France, qu’on a pu en insinuer le principe. Malgré tous les intérêts qui la rapprochent de nous, l’Autriche, pays monarchique, féodal, ultra-catholique, éprouve une vive répulsion pour la politique que nous suivons depuis quelques années, et cette répulsion la porte aisément à croire qu’il n’y a plus aucun fond à faire sur nous, que nous allons rouler de plus en plus dans l’anarchie et de l’anarchie dans le néant diplomatique. Une ou deux fois, il lui était arrivé de se demander si, par hasard, la France serait sur le point de se relever et de reprendre son rôle extérieur : au commencement de l’expédition de Tunisie et des affaires d’Egypte, elle nous regardait avec attention, cherchant à saisir dans les tressaillemeas d’un peuple qui fut si grand le prélude d’un réveil. On sait par quelles défaillances nous avons répondu aux questions qu’elle se posait, trompé peut-être les espérances plus ou moins inconscientes qu’elle nourrissait. Les bouleversemens ministériels, les crises parlementaires qui lui ont fait réellement et sincèrement croire que la république était ébranlée chez nous, qu’elle était à la merci d’une aventure, ont achevé de la décourager. On l’a donc trouvée préparée lorsqu’on est venu lui affirmer qu’il serait toujours impossible de trouver chez nous un concours sérieux, et que, par suite, si elle commettait la folie de s’éloigner de l’Allemagne, elle resterait à tout jamais sans alliés. Cela fait, on lui a proposé de s’armer pour exploiter notre décadence, puisqu’il lui était défendu d’espérer qu’elle pourrait profiter un jour de notre relèvement.