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désirable, est l’ennemi non-seulement de la France, mais de son propre pays et de l’humanité. » En dehors peut-être de quelques militaires, cet Anglais n’existe pas. Dès que l’Angleterre s’aperçoit que les rapports avec nous deviennent trop difficiles, si elle nous trouve fermes et résolus, elle nous manifeste la plus parfaite douceur. Malgré l’impardonnable faute que nous avions commise en refusant de faire campagne avec elle en Égypte, nous aurions donc pu cet hiver sauver le condominium et garantir nos droits menacés. Mais il aurait fallu que nos voisins nous vissent décidés à ne pas nous laisser évincer d’un pays où nous avons livré, après tout, d’autres batailles que celle de Tel-el-Kébir; qu’ils sentissent un accord complet sur ce point essentiel entre la nation et le gouvernement; que nos négociateurs fussent soutenus par le parlement et par le pays. Cent fois cet hiver les occasions favorables d’agir se sont présentées. Les Anglais rencontraient en Égypte des obstacles administratifs imprévus; ils s’apercevaient qu’ils auraient bien de la peine à les surmonter sans nous. C’était le moment de faire entendre nettement nos revendications. Mais quoi ! des intérêts autrement sérieux nous absorbaient. La question d’Égypte, je le répète, s’est dénouée au milieu de la dernière crise ministérielle, qui a duré près d’un mois dans les circonstances que l’on sait. C’est à cette crise, après la politique de M. de Freycinet, qu’on doit attribuer la ruine de notre influence en Égypte, et la destruction peut-être irrémédiable de nos bons rapports avec l’Angleterre.


IV.

Il faut remonter beaucoup plus haut pour découvrir les origines de la triple alliance. Ici nos erreurs ne datent pas d’hier; elles datent presque du lendemain de la guerre de 1870. Tout le monde sait que si cette guerre a été possible, ou du moins que si elle a pu être poussée jusqu’à l’écrasement complet de notre pays, c’est à l’alliance de l’Allemagne avec la Russie qu’on doit attribuer de si tristes résultats. C’est cette alliance qui nous a privés de tout secours à l’heure du péril, ainsi que le constatait l’empereur Guillaume, lorsqu’il télégraphiait au tsar, d’abord sur le champ de bataille de Sedan, plus tard à Versailles, pour lui dire que c’était à lui, après Dieu, qu’il devait ses victoires; ainsi que le reconnaissait avec une si éloquente douleur M. de Beust, lorsque, tous ses efforts pour amener une médiation entre le vainqueur et le vaincu ayant échoué devant les résistances de Saint-Pétersbourg, il s’écriait : « Il n’y a plus d’Europe ! « Il n’y avait plus d’Europe, en effet. A l’ouest du continent européen, la France était anéantie pour de longues années ;