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la question en Belgique. Il appuie de toute son autorité de savant et de sa longue expérience de professeur le principe de l’accès des universités aux femmes. C’est dans ce dessein même et pour accélérer le mouvement qu’il a choisi cette question pour le sujet de son rapport. Il invoque surtout cet argument que l’éducation des hommes dépend de l’éducation des femmes. On a souvent remarqué que la plupart des hommes supérieurs ont eu des mères distinguées. C’est la mère qui inspire à l’enfant les sentimens qui en feront un homme. Il déplore l’oisiveté et le vice ou se consument tant de jeunes gens de la classe élevée, et il dénonce avec énergie ces vices qui sont un argument si puissant entre les mains des sectes socialistes. Des mères plus sérieuses et plus instruites ne supporteraient pas chez leurs fils de pareils travers, et ne donneraient pas leurs filles, en raison uniquement de leur fortune, à des gendres d’une telle inutilité. On craint que la science des femmes ne dégénère en pédanterie ; mais est-ce que la piété ne dégénère pas quelquefois en bigotisme, et la grâce en minauderie ?

M. Louis Trasenster invoque une haute autorité en faveur de ces principes : c’est celle de l’évêque d’Orléans, M. Dupanloup, qui, sur la question de l’éducation des femmes, a soutenu les principes les plus libéraux et les plus généreux. C’est à peine si nous-mêmes oserions parler avec cette liberté. Il faut être évêque pour avoir le droit d’écrire les paroles suivantes : « Qu’on ne s’y trompe pas : des principes rigides avec des occupations futiles, de la dévotion avec une vie purement matérielle et mondaine font des femmes sans ressources pour elles-mêmes, et quelquefois insupportables à leurs maris et à leurs enfans. » Il dit encore : « La vérité pénible que je veux dire, c’est que l’éducation, même religieuse, ne donne pas toujours, donne trop rarement aux jeunes filles et aux jeunes femmes l’amour du travail. J’attribue cet éloignement pour le travail d’abord à l’éducation qu’on leur donne, légère, frivole et superficielle, quand elle n’est pas fausse, et ensuite au rôle qu’on leur fait dans le monde, à la place qu’on leur réserve dans les familles, même dans les familles chrétiennes. On veut que les femmes n’étudient pas ; elles ne veulent pas non plus qu’on étudie autour d’elles. On veut qu’elles ne fassent rien ; elles ne veulent pas non plus qu’on travaille ; elles n’encouragent au travail ni leurs maris ni leurs enfans… Tant que les femmes ne sauront rien, elles voudront des hommes inoccupés ; et tant que les hommes ne se décideront pas au travail, ils voudront des femmes ignorantes et frivoles[1]. » Je regrette que ces hautes et fortes paroles n’aient pas été citées à la chambre des députés dans la

  1. M. Dupanloup, Femmes savantes et Femmes studieuses. (Le Correspondant, 1868.)