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nous dire comme consolation que nous traversons les premiers une épreuve que tout le monde traversera après nous. C’est une raison d’espérer que nous en sortirons aussi les premiers. A quoi bon dès lors tenter des réactions impossibles?

La république a peut-être chez nous tous les défauts que lui prête M. de Bismarck ; elle a cependant une qualité, une seule, si l’on veut, mais c’est la plus importante de toutes, celle qui manquait à la jument de Roland, si bien pourvue d’ailleurs: elle vit! Depuis treize années, elle dure ; elle dure à travers des crises qui auraient dû cent fois l’emporter, elle a résisté aux entreprises les mieux ourdies de ses adversaires ; elle n’a pas péri, chose bien plus remarquable, à la suite des fautes si nombreuses et si éclatantes de ses amis. Treize années d’existence constituent une force diplomatique considérable, qu’il serait absurde de perdre. On ne forme, en effet, d’alliances présentant un caractère sérieux qu’avec des gouvernemens qui peuvent répondre de l’avenir, ou qui du moins sont jugés pouvoir en répondre, parce que le passé semble le leur permettre. Lorsqu’un gouvernement vient de naître ou de renaître, il n’a aucun gage à offrir à ceux dont il voudrait faire ses alliés; on hésite à se lier avec lui parce qu’il est possible qu’il disparaisse au lendemain de cet engagement. « Durant les quatre-vingt-quatorze ans qui se sont écoulés de 1789 à ce jour, a dit M. J.-J. Weiss, il y a eu en moyenne en France une révolution brusque et totale tous les sept ans. Sept années de durée probable, c’est maigre pour allécher le voisin et fixer son amitié. Mais est-ce que le rétablissement d’un roi ou d’un empereur corrigerait cette situation du soir au matin? Il l’aggraverait, au contraire, aux yeux du spectateur européen. Supposez qu’il y eût eu chez nous avant-hier une restauration monarchique; à quoi eût-elle servi d’abord en ce qui concerne la politique extérieure et ses combinaisons? Elle eût servi à faire dire dans toutes les chancelleries : « Voilà encore la France qui change de direction! » Elle eût servi à montrer encore la moyenne d’existence de nos gouvernemens diminuée d’un semestre ou deux ; à nous faire perdre le bénéfice de durée qui nous est en ce moment acquis par le fait du régime dont nous jouissons. »

Ce bénéfice, aucune monarchie ne le posséderait, en effet, durant bien des années. Il ne faut pas oublier non plus qu’étant données les dispositions de l’Allemagne envers la république, tenter une restauration monarchique serait s’exposer à des complications extérieures peut-être fort graves. Sans doute il est répugnant de tenir compte dans nos résolutions intérieures des idées de M. de Bismarck ; mais il y a un moyen très simple et tout à fait sans danger de tromper ses idées ; il suffit de donner à la république le caractère de modération, de sagesse et de fermeté qu’il est convaincu qu’elle ne