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quelle est la manière de voir de M. de Bismarck sur la république. C’est le seul moyen, en effet, d’expliquer le programme au nom duquel s’est fait la triple alliance et le but, apparent du moins, qu’elle s’est proposé. Pensant ce qu’il pense de la république, étant convaincu, comme il l’est, qu’elle tombe infailliblement dans l’anarchie et de l’anarchie dans l’impuissance, on s’explique sans peine que M. de Bismarck se fasse un devoir non-seulement de la respecter chez nous, mais de l’y étayer. C’est à cet effet que, d’après tous les journaux de Berlin et tous les personnages officiels et officieux des trois nations unies, la triple alliance a été formée. Partout en Allemagne, en Autriche, en Italie, le mot d’ordre consiste à la définir ainsi : c’est une triple alliance pour le maintien de la république, laquelle est un gouvernement pacifique, parce qu’elle est un gouvernement énervé et énervant, et elle est destinée à prévenir le retour en France d’une monarchie, laquelle serait un gouvernement belliqueux, parce qu’elle ne pourrait se soutenir au dedans qu’en se lançant dans des aventures extérieures. De là vient que la triple alliance s’est manifestée au grand jour au moment où la mort de M. Gambetta et la crise parlementaire qui l’a suivie ont fait craindre pour le salut de la république. Elle est venue immédiatement au secours de nos institutions menacées. A la première occasion, elle recommencerait.

Encore une fois, il faut méditer ce thème, dont on a eu tort de sourire chez nous, attendu que les triples alliés, sous l’impulsion de leur chef, en ont fait une sorte de Credo politique que l’opinion publique a très généralement admis à l’étranger. Seulement, il ne suffit pas de le méditer, il faut encore le comprendre. La république, ainsi que la monarchie, d’ailleurs, n’est pas une chose simple, invariable, absolue. Il y a plusieurs sortes de monarchies, depuis la tyrannie pure jusqu’à la monarchie ultra-parlementaire ; il y a de même plusieurs républiques. Est-ce à toutes les républiques que M. de Bismarck offre généreusement l’appui de la triple alliance? A coup sûr non. Si la république modérée, sage, prévoyante à l’intérieur, habile, ferme et prudente à l’extérieur, pouvait durer en France, il serait le premier à s’en méfier. Mais il la croit impossible. Il est persuadé qu’elle se résout fatalement en cette république anarchique et folle, qu’il y a plaisir à laisser vivre ou même à faire vivre, puisqu’elle ne nuit qu’à elle-même. C’est pour cela qu’il nous montre des sentimens si républicains. Il est curieux d’observer que, lorsqu’il exposait à M. d’Arnim ses idées sur la république, le premier essai de gouvernement républicain conservateur venait d’échouer en France. M. Thiers était tombé du pouvoir, renversé sans doute par une coalition monarchique, mais par une coalition monarchique qui n’avait été possible qu’à cause de l’élection