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qu’elle a occupée dans l’univers. Peut-être alors, le jour où ils prendraient en main la direction de ses destinées, se souviendraient-ils qu’elle a une telle puissance de rayonnement que pas un de ses actes ne passe inaperçu, que pas un de ses mouvemens n’est sans contrecoup au-delà de son territoire, que pas une de ses révolutions n’est indifférente au monde qui l’entoure et qu’elle a imprégné de son génie. Peut-être, dans les luttes mesquines de chaque jour, sentiraient-ils combien il est imprudent, combien il est contraire au patriotisme de détruire une à une les grandes forces qui ont fait la France et qui peuvent la maintenir, pour satisfaire des passions, des espérances ou des rancunes qui ne sauraient avoir de lendemain. Mais, hélas ! cette coutume ne semble pas sur le point d’être adoptée chez nous. Très rares sont ceux dont la curiosité inquiète va chercher à l’étranger, à côté des traces du passé de notre pays, les signes précurseurs de son avenir ; et si cela est regrettable, pour les raisons que je viens de dire, on doit convenir toutefois que la majorité des Français qui s’obstine à s’enfermer dans nos frontières s’épargne, depuis quelques années, grâce à cet isolement du monde, des émotions bien douloureuses et de bien sombres appréhensions.

Il semble, en effet, que l’éloignement dans l’espace produise le même effet que l’éloignement dans le temps, et qu’il laisse apparaître les conséquences des fautes avant qu’elles se soient produites ou du moins avant qu’elles aient reçu tout leur développement. Ceux d’entre nous qui passent une partie de leur vie à l’étranger, ceux-là surtout qui s’y établissent définitivement, ont quelque peine à s’expliquer la quiétude persistante où l’on se complaît en France et l’absurde rhétorique par laquelle on célèbre, dans tous les discours officiels, le relèvement du pays. Pour eux, hélas! ce relèvement est une illusion incapable de résister à l’expérience qu’ils font chaque jour de la ruine de notre influence. Au lendemain de nos désastres, ils rencontraient chez les nations au milieu desquelles les hasards de la fortune les avaient jetés un sentiment de surprise où ils pouvaient puiser quelque consolation. On s’étonnait que la France fût tombée si vite ; on hésitait à croire qu’elle ne se redresserait pas. Plus tard, une lueur d’espérance est entrée dans les âmes. A la suite du congrès de Berlin, la France a semblé s’essayer de nouveau à l’action extérieure; sans menacer personne, sans commettre aucune imprudence, elle a recommencé à faire sentir son autorité un instant oubliée. Par un coup d’habile politique, elle avait imposé son alliance à l’Angleterre et s’était établie à ses côtés en Égypte. Peu après, elle entrait seule en Tunisie et se montrait résolue à y rester. Était-ce un réveil? Beaucoup l’ont cru, et parmi les nations qui s’étaient éloignées de nous au lendemain de nos désastres, on en a vu