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anglais, toujours maîtres de l’ouvrir et de la fermer, nous aurons assez de philosophie dans l’âme, de résignation dans le cœur, d’étroitesse dans l’esprit surtout pour supporter encore cette atteinte capitale à nos intérêts, ce coup mortel à notre honneur. Pendant que les Anglais s’établissaient en Égypte, ne remportions-nous pas des succès dignes de nous faire dédaigner ceux des Pyramides ou de Tel-el-Kébir ? Nous culbutions des ministères, nous chassions des officiers de l’armée, nous enlevions leurs traitemens à des desservans, nous expulsions des aumôniers des hôpitaux : certes cela suffisait à nos ambitions présentes ! Il y avait là de quoi nous consoler des victoires plus substantielles, mais à coup sûr bien moins glorieuses de nos anciens alliés.

Il est à souhaiter que nous ne soyons pas cruellement réveillés un jour du sommeil où nous ont plongés les affaires égyptiennes, sommeil si profond qu’il n’a pas laissé arriver jusqu’à nous l’écho du contre-coup qu’elles ont produit en Europe. Il ne faudrait pourtant pas beaucoup d’attention pour s’apercevoir, à des signes irréfragables, que la politique d’abdication et de faiblesse dont nous avons fait preuve dans une circonstance aussi grave a déjà porté ses fruits. La désertion de la France en Égypte a eu pour premier résultat de rompre l’union intime qui existait entre elle et l’Angleterre, depuis le traité de Berlin, au grand profit de nos intérêts particuliers en Orient et de la paix générale en Europe. A peine l’alliance qui, durant ces dernières années, avait servi de pivot à notre politique, et relevé notre prestige au dehors, a-t-elle été dissoute, que le bruit s’est répandu de la formation d’une alliance bien différente, d’une triple alliance à la tête de laquelle se trouvait l’Allemagne, que l’Autriche acceptait avec résignation, dont l’Italie se glorifiait de faire partie, et dont personne ne nous cachait les intentions médiocrement bienveillantes à notre égard. Nous perdions une alliée, d’autres en trouvaient plusieurs contre nous. Il fallait s’y attendre. On ne respecte que ce qui est fort et digne. Dès que la France proclamait que l’armée d’Arabi pouvait être un danger pour elle ; dès qu’elle rompait avec ses plus nobles traditions par un sentiment d’inexplicable pusillanimité; dès qu’en abandonnant l’Égypte, elle montrait qu’elle avait renoncé à toute politique extérieure, ou du moins à toute politique extérieure avisée, prévoyante et logique, il était naturel que ceux qui ont intérêt à l’affaiblir trouvassent le moment propice pour obliger ceux qui risquaient un jour ou l’autre de se rapprocher d’elle à l’abandonner complètement. C’est ainsi que la triple alliance, qui avait tenté plusieurs fois de se former, mais qui n’y avait jamais réussi jusque-là, a pris corps et s’est affirmée après notre rupture avec l’Angleterre et notre évanouissement en Égypte. Au moment où nous venions de donner une marque