Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/553

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nos jours seulement qu’on a commencé à comprendre l’étendue de la perte que la politique extérieure du XVIIIe siècle nous avait infligée. D’ailleurs l’enivrement des triomphes de la révolution et de l’empire a eu bientôt fait oublier à notre pays un malheur qu’ils ne devaient pas dissimuler longtemps. La France, qui s’était armée pour repousser l’invasion, envahissait à son tour l’Europe, dont elle semblait devenir maîtresse. Que lui importaient les mers où l’Angleterre prenait partout sa place ! Elle ne voyait pas ce qui se passait si loin d’elle; suivant un mot admirable de M. Thiers, elle était tout entière occupée à « regarder » sur le continent; « et certes le spectacle en valait la peine, » La moitié du rêve dont s’était bercé le XVIIIe siècle était réalisée, et avec quel éclat! L’hégémonie européenne, si ardemment désirée, si chèrement payée, était enfin fondée sur les plus grandes victoires dont le monde eût retenti. Par malheur, cette œuvre fragile allait bientôt s’écrouler dans des désastres non moins grands que les victoires qui les avaient précédés. Et la France, au lendemain de Waterloo, subitement tombée de ses illusions démesurées, s’aperçut qu’après le gigantesque effort qu’elle venait de tenter, elle avait fait un pas de plus dans la voie de la ruine et de la décadence à l’extérieur.

La restauration et le gouvernement de juillet ont porté le poids des fautes héroïques de la révolution et de l’empire. Emprisonnés par la sainte-alliance, ils se sont vus condamnés à une politique timide, hésitante, effarouchée du moindre obstacle. Il est juste d’ajouter que, dans une situation fort critique, ils ont tiré de leur prudence même d’incontestables avantages. Sans parler de la conquête de l’Algérie, la seule œuvre utile et durable que la France en ce siècle ait exécutée au dehors, ils ont légué au second empire une armée réorganisée et des traditions de sagesse diplomatique qui avaient lentement ruiné la sainte-alliance et n’en laissaient plus subsister que le fantôme. On sait ce que le second empire a fait de ce legs et ce qu’il a légué à son tour à ses successeurs. Mais, il faut bien le dire : si détestable qu’ait été sa politique extérieure, l’opinion publique n’a commencé à s’en émouvoir qu’au coup de foudre de Sadowa, et elle n’en a compris toute la gravité qu’après la catastrophe de Sedan. A part l’expédition du Mexique, aventure trop insensée pour qu’on n’en discernât pas immédiatement les périls, quelle est celle des entreprises extérieures de l’empire qui ait été combattue, je ne dis pas par la majorité du pays, mais même par ce petit groupe libéral dont l’opposition au dedans était si éclairée et si active? Le principe au nom duquel elles étaient faites, le fameux principe des nationalités, il a fallu les désastres de la dernière guerre pour que tout le monde, en France, en entrevît les fatales conséquences. Ce que les libéraux reprochaient