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grande énergie contre l’exécution arbitraire d’Arbuthnot et d’Armbrister. Il demanda si l’on pouvait leur imputer d’autre crime que d’avoir entretenu des relations commerciales avec les Indiens, et d’avoir cherché à se concilier leurs bonnes grâces en les éclairant sur les droits que leur conféraient les stipulations du traité de Gand. Eussent-ils d’ailleurs été coupables des faits qu’on leur avait imputés, il soutint que leur condamnation n’en eût pas moins été injustifiable : car, dans un pays libre comme les États-Unis, nul ne pouvait être mis à mort sans avoir été condamné en vertu d’une loi formelle et par un tribunal compétent. Élargissant enfin le cercle de la discussion, il rappela dans une péroraison éloquente le sort des peuples qui, en tolérant les excès des chefs militaires, avaient compromis leurs libertés :

« .. Transportons-nous, dit-il, au temps où la Grèce et Rome étaient dans tout l’éclat de leur prospérité : supposons que, mêlés à la foule, nous eussions demandé à un Grec s’il ne craignait pas qu’un chef militaire audacieux et couvert de gloire, un Philippe ou un Alexandre, vint un jour à renverser les libertés de ce pays. Ce Grec confiant et indigné nous eût répondu : Non ! non ! nous n’avons rien à craindre de nos héros : nos libertés seront éternelles. Un citoyen romain auquel on eût demandé s’il ne craignait pas que le conquérant de la Gaule vînt fonder un trône sur les ruines de la liberté publique eût énergiquement repoussé un pareil soupçon. Cependant la Grèce a succombé, César a franchi le Rubicon, et le bras patriotique de Brutus lui-même n’a pu sauver les libertés de son pays...

« Je suis loin de prétendre que le général Jackson forme des desseins hostiles à nos libertés. Je crois ses internions pures et patriotiques. Je remercie Dieu qu’il n’ait pas la volonté de détruire les libertés de la république; mais je remercie Dieu plus encore qu’il n’en ait pas le pouvoir quand bien même il en aurait la volonté...

« Gardez-vous, dans cette première période de notre république, qui compte à peine quarante années d’existence, de donner un encouragement fatal à l’insubordination militaire. Souvenez-vous que la Grèce a eu son Alexandre, Rome son César, l’Angleterre son Cromwell, la France son Bonaparte, et que, si nous voulons éviter l’écueil auquel elles se sont brisées, il faut que nous évitions leurs fautes.

« J’espère que la chambre examinera mûrement les circonstances graves dans lesquelles nous sommes. On peut dédaigner toute opposition, on peut même voter au général de publiques actions de grâces; on peut le porter en triomphe jusque dans cette chambre. Mais si on le fait, ce sera, à mon humble avis, le triomphe du principe