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propre autorité, la seconde sentence de la cour. Il fit en conséquence pendre Arbuthnot et fusiller Armbrister dans la matinée du lendemain.

La nouvelle de cette double exécution causa en Angleterre une émotion profonde. La presse se fit l’écho de l’indignation publique : la question fut portée devant le parlement, et l’on peut se demander quelles auraient été les conséquences de ce débat si lord Castlereagh, évoquant, comme le fit plus tard lord Palmerston dans des circonstances bien différentes, le classique souvenir du Civis romanus sum, avait revendiqué comme lui avec une hautaine éloquence les inviolables privilèges des citoyens britanniques répandus sur tous les points de l’univers. Mais le cabinet anglais ne jugea pas opportun de se livrer à une manifestation de ce genre au lendemain du rétablissement si longtemps désiré de la paix générale, et, préoccupé des périls d’une nouvelle rupture avec les États-Unis, il parvint, non sans effort, à calmer les esprits et à étouffer l’incident.

L’injustifiable agression de Jackson n’avait pas moins sérieusement compromis les relations des États-Unis avec l’Espagne. Le ministre espagnol, don Luis de Oñis, protesta en termes énergiques et déclara qu’il ne reprendrait les négociations ouvertes pour la cession de la Floride que lorsque son gouvernement aurait obtenu satisfaction. L’embarras était grand à Washington. Le cabinet était divisé sur la conduite à tenir. Le président estimait que Jackson avait outre-passé ses instructions, et Calhoun demandait qu’il lût formellement désavoué. Mais cette opinion fut combattue par le secrétaire d’état, John Quincy Adams[1].

Il soutint que la violation des instructions reçues était plus apparente que réelle et que la conduite de Jackson pouvait se justifier tant par les nécessités impérieuses de la situation que par l’attitude ouvertement hostile du gouverneur de la Floride. Il reconnaissait que la question était d’autant plus délicate qu’elle n’intéressait pas seulement les relations internationales, mais qu’elle touchait à un grave problème constitutionnel, en ce qu’elle impliquait le droit pour le pouvoir exécutif d’autoriser les hostilités sans déclaration de guerre par le congrès. Quant à lui, il n’hésitait pas à reconnaître ce droit lorsque les hostilités avaient un caractère purement défensif : or, c’était dans ces conditions que Jackson avait pu être autorisé à passer la frontière espagnole en poursuivant les Indiens. Tout le reste, même la prise du fort Barancas, se rattachait à cette première et inévitable violation du territoire, et il convenait pour apprécier sainement

  1. Voir Memoirs of J. Q. Adams, by Josiah Quincy.