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cation et pourrait passer pour une préface assez peu brillante du voyage que le roi Alphonse XII a cru de voir entreprendre en Allemagne. C’est la première fois, en effet, que l’esprit de sédition a reparu dans l’armée, que des régimens se sont insurgés depuis la restauration, et la situation a paru un moment assez grave pour qu’on ait cru de voir mettre certaines contrées en état de siège, décréter la suppression des garanties constitutionnelles. L’échauffourée a été promptement vaincue sans doute par les mesures énergiques qui ont été prises. Le roi s’est empressé de parcourir quelques provinces, il s’est mêlé aux populations, à l’armée, et tout a paru terminé. Les événemens du mois dernier ont eu cependant un premier résultat. A peine le danger semblait-il passé, qu’il s’est élevé dans le gouvernement une sorte de conflit entre les partisans d’une politique de forte vigilance et ceux qui désiraient en finir au plus tôt avec les souvenirs importuns des derniers incidens insurrectionnels. D’un côté étaient le ministre de la guerre et ses amis, dans l’autre camp se trouvaient le président du conseil, M. Sagasta, et les libéraux du cabinet. Ce sont ces derniers qui ont gardé l’avantage, puisque l’état de siège a été levé et que les garanties constitutionnelles, un instant suspendues, ont été rétablies. La lutte d’influences qui existe dans le ministère n’est au surplus que suspendue.

La crise subsiste, elle n’est pas dénouée, elle a été ajournée d’un commun accord jusqu’après le voyage du roi en Allemagne ; mais c’est là justement la question : pourquoi ce voyage dans les circonstances présentes ? Il semble vraiment assez peu plausible, soit en raison de la situation intérieure de l’Espagne, soit parce qu’il pouvait prendre une signification peu obligeante pour la France dans les conditions de la politique générale. Le roi Alphonse, il est vrai, a tenu à dissiper tous les doutes avant son départ. Il a saisi l’occasion d’une inauguration de chemin de fer pour attester publiquement ses cordiales sympathies envers la France, pour dire tout haut le prix qu’il attache à l’amitié durable des deux nations. Il doit, dit-on, s’arrêter à Paris à son retour. Il est certain qu’on ne voit guère ce que l’Espagne irait chercher en Allemagne, quel rôle elle pourrait prendre dans des combinaisons où elle n’a que faire. Par tous ses intérêts elle est liée à la France, et toute politique qui méconnaîtrait les intérêts traditionnels qui unissent les deux pays ne serait qu’une fantaisie périlleuse.

CH. DE MAZADE.