Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/479

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui ne manquent pas évidemment de portée dans l’état présent de l’Europe. Les uns ont supposé que M. de Bismarck, en se faisant précéder par l’article retentissant du journal de Berlin, avait agi avec calcul, qu’il portait à Salzbourg une certaine préoccupation des affaires de la France, des résistances que l’Allemagne rencontre dans l’Alsace-Lorraine, et qu’il avait voulu s’entendre soit avec le comte Kalnoky, soit avec le maréchal de Manteuffel sur tout ce qui pourrait arriver ; les autres ont prétendu qu’il s’agissait de l’Orient, de l’éventualité d’un conflit avec la Russie, des rapports difficiles qui existent déjà depuis quelque temps entre les trois empires, et qui se traduisent en manifestations de défiance, en armemens, en accumulations de forces militaires sur les frontières. Il est assez présumable, en effet, qu’on s’est occupé à Salzbourg de toutes ces questions et de bien d’autres encore qui pèsent sur la politique de l’Europe. On a dû essayer de tout prévoir, échanger des vues, c’est infiniment probable, et ce qui semble, dans tous les cas, indiqué par la nature des choses, par une foule de circonstances, c’est que cette entrevue des deux chanceliers, suivant de si près l’entrevue des deux empereurs, doit avoir eu pour premier objet, pour objet précis, le renouvellement ou l’affermissement de l’alliance austro-allemande. Il est possible aussi que M. de Bismarck, après avoir admis déjà l’Italie dans la combinaison qui réunit les deux empires du centre, ne dédaigne pas d’y introduire, comme auxiliaires ou comme figurans, d’autres états, grands ou petits, dont il croirait pouvoir se servir. C’est le sens apparent, vraisemblable, de tout ce mouvement de princes visitant aujourd’hui l’Allemagne, Vienne et Berlin, tournant autour des deux empereurs. C’est la tactique évidente du terrible chancelier, autrefois si loquace, devenu depuis quelque temps si taciturne, de réunir le plus d’alliés possible, de créer au centre du continent une force compacte, en s’étudiant à isoler ceux qu’il considère comme des adversaires éventuels, à rejeter la Russie au nord, la France au midi, de façon à rester maître de la situation de l’Europe.

La tactique n’est sûrement ni sans habileté ni sans grandeur, et M. de Bismarck est bien homme à poursuivre avec ténacité des desseins qu’il peut juger utiles à la sécurité de l’empire. Est-ce à dire que cette alliance affermie ou renouvelée avec l’Autriche, complétée par d’autres accessions dans diverses parties de l’Europe, soit le préliminaire de complications immédiates ou prochaines ? Les causes de conflits grands ou petits, ces allumettes dont parlait autrefois lord Palmerston, ne manquent certes pas aujourd’hui sur le continent européen, et le soupçonneux chancelier de Berlin tient visiblement à se mettre en garde ; mais, avec toutes ses hauteurs et ses impatiences de prépotent, il hésiterait vraisemblablement lui-même à