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et dont il commente l’histoire avec sa liberté d’un esprit qui ne doute de rien. L’autre jour, au Puy, autour de la statue d’un homme dont la vie aurait pu, en effet, lui fournir quelques lumières, il a repris le problème ; il s’est demandé comment cette révolution si puissante, si prodigieuse, avait pu être un jour si brusquement et si tristement interrompue, comment il avait pu arriver qu’après dix ans d’improvisations de génie, il suffit d’un demi-bataillon envahissant une assemblée de législateurs pour en finir avec la république, pour rejeter la France dans la monarchie, dans une série de monarchies. Oui, comment cela s’est-il fait ? C’est que le peuple n’avait pas encore alors l’éducation politique qu’il a reçue depuis, qu’il a aujourd’hui par les soins de l’opportunisme ! C’est l’explication de M. Waldeck-Rousseau. M. le ministre de l’intérieur aurait pu se faire une autre réponse plus précise, historiquement plus juste ; il aurait pu se dire que si un jour les grenadiers de brumaire avaient suffi pour changer les destinées publiques, c’est que, pendant dix ans, les « grands hommes » dont il invoque l’exemple avaient commis de telles violences, de tels attentats contre la vie, les intérêts et la conscience des hommes, que la France épuisée, excédée par la terreur, n’aspirait plus qu’à la délivrance et au repos, fût-ce sous un maître. C’est l’effet ordinaire de la politique jacobine sous sa forme violente ; toute la question est de savoir si, pratiquée avec plus d’art, atténuée par ce qu’on appelle la « méthode, » elle ne peut pas avoir plus lentement, mais aussi sûrement les mêmes effets. M. le ministre de l’intérieur a fait, en passant, une autre découverte précieuse pour l’histoire. Il a constaté que la France avait prodigieusement reculé sous la restauration et qu’à cette époque, « le libéralisme semblait être le monopole de quelques officiers de l’empire en demi-solde. » C’est ce qu’on appelle juger le passé à la façon opportuniste. M. le ministre de l’intérieur pourrait, à la rigueur, faire avec profit quelques études nouvelles ; il découvrirait que les vraies idées libérales françaises ont une autre origine et une autre histoire. Ces idées ont assez vécu, elles ont produit assez d’œuvres bienfaisantes, même sous ces régimes constitutionnels que M. Waldeck-Rousseau traite si dédaigneusement, pour avoir une tradition, une force, une armée parmi les hommes éclairés de France, et elles ont cela de caractéristique justement qu’elles sont aussi opposées à la politique jacobine qu’à la politique impériale.

Après cela, M. le ministre de l’intérieur, qui est un si fidèle historien, peut, s’il le veut, se donner la satisfaction de représenter son parti comme ayant redressé et fixé les destinées de la France ; il peut exalter l’opportunisme pour tout ce qu’il a fait depuis dix ans, pour les réformes qu’il a réalisées, pour la politique rationnelle, méthodique et progressive qu’il a inaugurée, pour le caractère indestructible qu’il a