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des ressentimens mal éteints, à de vieilles défiances, à des préventions à peine déguisées, peut-être à d’autres calculs bien peu sérieux ; on a forcé, c’est bien certain, M. le comte de Paris à s’abstenir, et, tout bien pesé, le seul résultat de ces difficultés dont on a compliqué un deuil respecté est peut-être de laisser son vrai caractère à la situation nouvelle du prince. Par ce seul fait, M. le comte de Paris, sans avoir rien provoqué, se trouve plus libre, plus dégagé de toute solidarité avec des influences surannées, et, en devenant l’héritier réguler d’une vieille tradition, il reste plus que jamais le représentant d’une monarchie constitutionnelle conforme aux instincts, aux intérêts libéraux de la société moderne. Il y avait un doute, il n’existe plus aujourd’hui. Tout est net dans ces conditions nouvelles rendues plus apparentes et plus sensibles par ce qui vient de se passer à Goritz. C’est ce qu’on peut appeler la moralité de l’épilogue, et M. le comte de Paris n’a point à s’en plaindre, puisqu’il sort de cette délicate épreuve avec sa dignité et sa liberté.

Assurément, cela ne veut pas dire que la situation du prince soit devenue plus aisée sous bien d’autres rapports ; elle reste, au contraire, singulièrement difficile de toute façon au milieu des partis intéressés à l’aggraver et à la compliquer encore par leurs commentaires, par leurs excitations. M. le comte de Chambord vivait loin de la France et pour ainsi dire en dehors de la réalité. M. le comte de Paris vit en France, représentant par son nom, par sa position un ordre politique qui n’est pas l’ordre reconnu par la constitution et soumis, par le fait, aux conditions de légalité communes à tous les Français. Que fera-t-il ? Comment conciliera-t-il les caractères divers qui se rencontrent en lui ? S’il se tait, s’il se renferme dans une réserve, qui, jusqu’ici, lui a été facile, sa réserve, son silence seront perfidement interprétés ; il sera, il est déjà exposé aux défiances de ces étranges royalistes qui suspectent en lui le prince libéral, et aux violences des républicains qui verront une conspiration dans ses actions les plus simples, dans ses relations, dans son attitude de taciturne. S’il parle, s’il veut expliquer sa position devant le pays, le gouvernement ne cache pas qu’il est disposé à le traiter en prétendant, qu’il tient tout prêt un décret de bannissement. Ce sont là des difficultés inhérentes à une situation exceptionnelle. M. le comte de Paris n’en est point sans doute à s’en préoccuper, il les connaît. Ce qu’il y a de certain, c’est que, dans tous les cas, qu’il se taise ou qu’il parle, il n’est pas de ceux qui excitent les dissensions dans le pays, qui rêvent les coups d’état ou fomentent les guerres civiles. Par son éducation libérale, par ses idées, par ses traditions de famille, il est accoutumé à respecter des lois, la volonté nationale. Il n’est sûrement pas revenu d’Autriche avec l’intention d’engager une campagne agitatrice pour restaurer la monarchie.