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Méthyllas, envieux de la gloire d’Ovide et de ses amours, entreprenait de lui ravir sa maîtresse ; qu’il courtisait, par erreur, une affranchie et recevait d’elle en gage de tendresse une bague donnée par Corinne ; qu’Ovide, en voyant cette bague au doigt de Méthyllas, se croyait trahi et courait se consoler chez Julie ; qu’avertie de son infidélité, Corinne la dénonçait à Auguste, et que bientôt, lorsqu’elle en connaissait l’excuse, elle n’avait plus qu’à s’exiler avec son amant… Voilà, pour soutenir un si petit ouvrage, une bien grosse charpente et bien compliquée. Les vers qui l’enjolivent, quoique beaucoup soient ingénieux et même agréables, ne surprennent pas l’oreille par la nouveauté de leur tour : ce proverbe en toge, qui dure trois quarts d’heure, fatigue un peu l’attention ; il est pourtant joué fort décemment. M. Barral, qui débutait dans le rôle de Méthyllas, est un comédien minutieux ; il serait d’un comique moins monotone s’il parlait quelquefois au lieu de bêler. M. Albert Lambert est un excellent Ovide de tragédie et Mlle Malvau une Corinne qui sait dire ; mais pourquoi cette jeune première, un peu sèche, imite-t-elle par momens la cantilène de Mlle Sarah Bernhardt ? Mlle Élise Petit me paraît une soubrette romaine qui sent coquettement son Paris. M. Rebel fait un Mécène convenable. Les moindres rôles dans la petite pièce comme dans la grande, — où M. Cornaglia, Mme Régis et Mlle Real méritent d’être cités, — sont tenus avec conscience.

C’est le respect de l’art et du public, ou plutôt le respect d’eux-mêmes, — car ils semblent s’exercer pour eux-mêmes et pour leur profit, — qui me touche singulièrement chez ces acteurs de l’Odéon. Ils jouent l’Exil d’Ovide, au commencement du spectacle, devant deux cents personnes ; ils jouent avec le même sérieux et le même soin que devant une salle de gala. J’inviterai quelques-uns de leurs heureux confrères de la Comédie-Française à méditer cet exemple. Ceux-ci volontiers se prennent pour des pontifes, mais volontiers ils se permettent de dépêcher leur messe ; et, tel soir, pendant la dernière scène de l’Avare, tel autre soir, pendant la dernière scène de Tartufe, j’en ai vu plusieurs, malgré le pathétique de l’action, se divertir comme des enfans de chœur derrière le prêtre. Ce relâchement diminue la distance entre les deux théâtres ; mais les comédiens de là-bas se chargeraient de la diminuer d’une meilleure façon. Il ne sera pas surprenant qu’à force de travail l’Odéon parvienne à justifier son titre de second Théâtre-Français et sa prétention d’être autre chose qu’un cénotaphe perdu dans la banlieue du Vaudeville et du Gymnase.


Louis GANDERAX.