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l’auteur ira plus haut. Il n’a pas trente ans ; il ne figurait pas, il y a dix jours, sur la liste des écrivains autorisés à se faire applaudir ; il y est : qu’il y reste !

C’est une bonne nouvelle que celle d’un succès remporté par un inconnu ; n’en est-ce pas une autre que celle d’une comédie bien jouée à l’Odéon ? L’une et l’autre a le charme de la surprise. On admet que la tragédie et le drame bourgeois en vers, dans cette lointaine province de l’art dramatique, soient déclamés honnêtement ; on a peine à croire qu’il s’y forme encore et qu’il s’y conserve des comédiens. Nous ne récuserons, pas cependant le témoignage de nos yeux et de nos oreilles : M. Victor Jannet ne pouvait souhaiter de meilleurs interprètes. Auprès de M. Porel, qui rend à merveille toutes les nuances de son personnage, le bel Armand, il faut citer d’abord M. Amaury, qui représente Fabrice. Je goûte médiocrement, à l’ordinaire, sa voix de petite flûte, à la fois aiguë et voilée ; je goûte médiocrement ses grimaces de jeune premier comique. Pourtant je n’aperçois personne, pas même à la Comédie-Française, qui eût joué avec plus d’art sa partie dans le duo pathétique des deux frères, à la fin du second acte : il y a là toute une gamme montante de sentimens interrompue plusieurs fois et toujours, reprise avec plus de brio, que M. Amaury exécute avec une chaleur, un mouvement, une connaissance du rythme dramatique que je ne saurais trop louer. M. Raphaël Duflos, revenu de la Gaîté à l’Odéon, ne pouvait guère montrer dans la redingote d’André Laroche la science de composition qu’il a prouvée sous le pourpoint d’Henri III ; il n’a fait apprécier que sa bonne tenue, son air mâle et sa voix grave. D’aucuns l’ont trouvé guindé ; mais son personnage est-il souple ? Ce qu’il a naturellement de ce personnage, c’est qu’il paraît, en effet, « un gars et un homme » plutôt qu’un comédien ; ce n’est pas un mal, même au théâtre, pourvu qu’on sache son métier, qu’on ait le ton juste et le geste réglé. Nous attendons M. Duflos à de meilleurs rôles : il trouvera sans doute, cet hiver, dans le Severino Torelli, de M. Coppée, et dans Henriette Maréchal, que M. de La Rounat a l’heureuse idée de reprendre, l’emploi de son talent.

Avec le Bel Armand, l’Odéon, pour cette fête de sa réouverture, nous a donné l’Exil d’Ovide, un acte en vers de M. Honoré Bonhomme. La tentation est trop forte de juger cet opuscule en deux mots : honorable et bonhomme. L’auteur mérite le respect par l’innocence de ses vers autant que par son âge. L’Ovide qu’il fait parler est le véritable, et le titre de la pièce en dit le sujet. L’intrigue, plus solide peut-être qu’il n’est nécessaire en ce genre, se noue péniblement, et la qualité du style est celle d’une traduction élégante. M. Bonhomme a supposé qu’au moment où les sages conseils de Mécène détournaient le poète de Julie et le ramenaient à Corinne, un méchant sophiste grec,