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André n’est-il pas un reproche vivant pour Fabrice ? Ce n’est pas qu’on fasse au jeune oisif des remontrances : désormais on le tient pour incurablement léger, désespérément inutile. Voici son père, à qui les deux femmes l’abandonnent. Armand a jugé la situation de ce coup d’œil sûr, mais indifférent, que donne l’habitude : « Combien te faut-il ? — Cent cinquante louis. — Je vais te les chercher. » Il va les chercher, en effet, et les remet au jeune homme sans souffler mot. « Eh bien ! murmure Fabrice, tu ne me dis rien ? — C’est mon petit sermon qui te manque ? — Ma foi ! j’aimais mieux ta colère : c’était encore une façon de gagner mon argent. » Il faut renoncer à cette façon, et de même à toute autre : vainement Fabrice parle à son père de travailler ; à quoi serait-il bon ? Vainement il parle de se marier, d’épouser sa cousine : joli parti pour la pauvre fille ! Et à mesure que l’indulgence du père devient plus dédaigneuse et son parti-pris sur son fils plus évident, on voit monter l’impatience du jeune homme, qui s’irrite d’être ainsi condamné : pas plus que l’argent, qui paie ses folies, ses bonnes résolutions ne lui sont comptées ; à peine si l’on écoute ses paroles ; on ne veut rien attendre de lui ni presque rien entendre. Sans doute on garde son attention pour André sur qui, l’on a reporté toute l’estime de la famille, toutes ses espérances, tout son orgueil : parmi tant de services, André n’a-t-il pas essayé d’occuper Fabrice à l’usine ? Au bout de huit jours, il a dû le renvoyer ; ce jour-là, personne dans la maison n’en a voulu à Fabrice, pas plus qu’aujourd’hui : ce n’est pas sa faute s’il ne peut être le second, ni le dernier même, où André est le premier.

Oui certes, le premier ; il le mérite. Pendant que Fabrice va payer sa dette, voici qu’il arrive, l’ingénieur modèle, inventeur d’un nouveau combustible qui se moque du charbon et de la houille. Cette invention sera sa dot ; il vient avec son père demander à M. et à Mme Evrard la main de Mlle Jeanne, qu’il aime ardemment et qui l’aime ; la main de Mlle Jeanne lui est accordée. Où logera-t-on le nouveau ménage ? Dans l’appartement de Fabrice, parbleu ! Fabrice montera un étage de plus. Cependant il rentre et tombe au milieu de ces accordailles. Il reste seul avec André. Alors il éprouve le besoin de dire son fait à l’intrus qui l’a délogé peu à peu de l’affection des siens, de leur estime et de ses projets amoureux comme de sa chambre ; il l’accuse d’être plus habile qu’on ne croit et d’avoir médité le : « C’est à vous d’en sortir » de son patron Tartufe ; il s’emporte jusqu’à lever sur lui sa badine. André, qui s’est d’abord contenu, glacé de surprise et gêné pour répliquer par les égards qu’il doit au fils d’un bienfaiteur, André s’emporte aussi : même sorti le premier de l’École centrale et inventeur d’un nouveau combustible, un saint n’y tiendrait pas ! André saisit la badine de Fabrice, la lui brise entre les mains et