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Certainement aucun manifeste de la Porte n’est à craindre, dénonçant notre athéisme et nous vouant à la haine des croyans, Fellahs et Arabes de l’Egypte, Ansariyehs et Métualis du Liban, Sunnites de Damas ; mais si le système de lutte religieuse, de Culturkampf où nous sommes entrés juste au moment où M. de Bismarck semble ne plus répugner à aller à Canossa, s’accentuait encore, si, ce qui n’est pas impossible aujourd hui, ce que les Italiens regardent comme assuré demain, la France avait pour ennemi le pape, ami et allié de l’Italie ; à défaut de ce manifeste, les mille voix de la presse européenne diraient aux chrétiens comme aux musulmans d’Egypte, de Syrie, de l’Asie-Mineure, que la France est toujours la nation athée où le Coran, la Bible et l’Évangile sont tournés en ridicule, où la religion, toute religion, est persécutée, et qui sait si ce n’en, serait pas fait de notre influence dans ces pays ? qui sait si ce n’est pas vers l’Autriche catholique, vers l’Italie catholique, amie et alliée du chef de la chrétienté, que se tourneraient ces populations chrétiennes de l’Orient, dévouées à la France parce qu’elles voient toujours en elle, — même dans la France républicaine de nos jours, — cette fille aînée de l’église, cette France catholique que dix siècles leur ont appris à admirer et à aimer ? Leur foi en elle a résisté à toutes les éclipses de notre gloire et de notre grandeur, résisterait-elle à cette suprême épreuve[1] ? Cela vaut

  1. Les vers suivans, improvisés pour ainsi dire à l’occasion de la visite imprévue de l’amiral commandant l’escadre, à Smyrne, nous paraissent résumer d’une façon touchante ces sentimens envers la France ; peut-être trouvent-ils ici une place naturelle ; l’humilité des pieuses filles de Sion nous pardonnera de leur donner la publicité de la Revue. N’est-ce pas montrer que leur cœur bat plus ardent que jamais pour cette patrie dont elles se sont volontairement exilées ?
    Nos jours coulent heureux à l’ombre de la France,
    Qui jeta sur nos bords ses fleurs et ses lauriers ;
    Et souvent les échos qui bercent notre enfance
    Saluent avec transport ses marins, ses guerriers.
    Répands donc tes bienfaits, ô belle protectrice.
    Fais sur les océans flotter ton pavillon ;
    Offre de tes revers le fécond sacrifice,
    Qui ne saurait ternir la gloire de ton nom.
    Les siècles ont redit sur la terre et sur l’onde
    Ce nom que porta haut ton antique pavois.
    Ton beau sceptre longtemps a primé sur le monde,
    Mais tes bienfaits encor surpassent tes exploits.
    La tempête peut bien ballotter ton navire,
    Les fils des vieux Gaulois connaissent le danger.
    France ! espère toujours, force le monde à dire :
    Dieu l’a faite immortelle, il sait la protéger.