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marine de commerce, — et l’a guerre ne la surprendra pas. — Elle reculera devant la guerre toutes les fois que cette marine sera l’enjeu à risquer sur le tapis sanglant des batailles. Aussi, comme toutes les nations maritimes d’ailleurs, comme la Russie naguère, achetant à l’étranger sa flotte « de croiseurs nationaux, » comme les États-Unis de l’Amérique du Nord, qui n’ont pas même un cuirassé à mettre en ligne, la France peut parler haut à l’ancienne reine des océans toutes les fois qu’elle parlera au nom de la justice et du droit. Malgré Gibraltar et Malte, malgré Chypre et l’Egypte, ce n’est pas l’Angleterre qu’elle trouverait en travers de sa route aux heures des revendications légitimes, et si elle ne peut, pas plus qu’elle ne le pouvait en 1870, compter sur sa bienveillance ou même sur la communauté d’intérêts, ce n’est pas elle dont, aujourd’hui, en l’état présent des choses de la mer, elle doit redouter l’hostilité plus ou moins active. D’ailleurs cette influence toute pacifique que la France doit et veut maintenir dans le Levant, et surtout en Syrie, n’est pas une œuvre que la force des armes ait créée, que la force des armes puisse détruire. Faite de glorieux souvenirs, de traditions fidèlement gardées, elle repose sur la force bien supérieure d’une idée, — et quelle idée ? — L’idée religieuse, l’idée chrétienne, l’idée cathotique. Contre elle l’Angleterre protestante ne peut rien ; — le péril est ailleurs pour la France. — Ici encore, et comme nous le disions au début de cette étude, l’Italie, avec ses souvenirs de grandeur passée, ses rêves de grandeur future, de primato méditerranéen, est fatalement le plus irréconciliable et peut-être le plus redoutable des adversaires que nous pouvons avoir un jour à combattre.

L’histoire du passé enseigne l’avenir. Voici une page d’histoire récente : « Par tous les côtés à la fois, l’influence française en Orient était alors exposée aux machinations et aux entreprises hostiles des gouvernemens européens… Le gouvernement italien ne perdit pas un instant, après nos défaites sur le Rhin, pour démasquer ses ambitions de ce côté et tenter de se substituer à nous dans tous les pays du Levant. Il alla jusqu’à essayer, dans ce but, de se mettre en relations avec la propagande romaine et lui fit les promesses les plus séduisantes pour l’amener à comprendre que l’Italie devait recueillir l’héritage de la France vaincue, pour la protection des intérêts latins en Orient. Ces démarches faites au lendemain de l’entrée des Italiens à Rome n’aboutirent pas[1]. » Faites aujourd’hui que treize ans écoulés ont consacré Rome capitale de l’Italie, ces démarches auraient-elles quelques chances d’aboutir ? Ce n’est pas à

  1. Diplomatie du gouvernement de la Défense nationale, Valfrey, II, 145.