Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/435

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’Italie, n’avaient aucun doute : tous se rangeaient à l’avis de M. de Bismarck. La France de leurs rêves, de leurs vœux devant être avant tout l’ennemie de leur adversaire le plus redoutable, la papauté, disons le mot, l’église catholique, ils voulaient, avec le grand chancelier d’Allemagne, une France jacobine, anticléricale, fanatique, mais, de ce fanatisme philosophique qui, dans son culte absolu de la liberté et de la patrie républicaines, va jusqu’à la négation de la liberté, jusqu’à la négation de l’histoire, et ne tient compte ni des croyances de millions de Français ni de ces traditions qui, avant 1789, ou mieux 1793, avaient fait une France ayant rempli cependant quelque place dans le monde ; à ces titres encore, et au lendemain de 1871, les tendances des hommes d’état italiens étaient naturellement allemandes, sinon antifrançaises. Plus tard, néanmoins, et lorsque le problème fut résolu de la constitution qui régirait la France, lorsque la république fut proclamée, s’imposant à une majorité antirépublicaine, lorsque, surtout après le 16 mai, tout espoir de restauration monarchique s’évanouit, la politique italienne en a-t-elle été modifiée ; et dans la nation elle-même, l’opinion publique, enfin rassurée, est-elle revenue à plus de justice, sinon à plus de sympathie envers la France républicaine ? Non, certes, rien n’est changé à Rome ou dans le parlement ; plus que jamais, au contraire, la gallophobie est à l’ordre du jour de la presse et de ces politiciens, qui, dans les grandes villes de la péninsule comme dans toutes les démocraties modernes, font seuls l’opinion publique, et, chose étrange, mais que le plus simple examen met en pleine lumière, c’est la raison des choses elle-même, qui semblait faire de l’avènement de la république en France un desideratum pour l’Italie et qui lui impose ces mêmes craintes et ces mêmes défiances de notre pays. Républicaine ou monarchique, la France, reprenant sa place dans le monde, apparaît, nous ne dirons pas comme une menace pour l’Italie nouvelle, mais comme un obstacle pour la réalisation de ses espérances de grandeur future.


II

Si l’Allemagne a reconstitué sa nationalité éparse par les prodigieux succès des armées allemandes, confondues dans leur haine commune de l’ennemi héréditaire, l’unité de l’Italie est l’œuvre trop évidente, pour le patriotisme et la juste fierté des Italiens, d’une politique habile, servie par des défaites plus profitables que les plus éclatantes victoires. Mais cette heureuse fortune, heureuse et étrange à la fois, n’a point aveuglé le bon sens italien. Se connaître et se juger est, pour les peuples autant que pour les