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asservies, et dont leurs descendans venaient enfin de reprendre possession comme de leur légitime héritage. Dans ces doubles aspirations se révélait tout entier le génie de l’Italie nouvelle, génie à la fois pratique et chimérique ; observateur attentif des réalités présentes et s’inclinant devant elles, amoureux et amoureux passionné d’un passé que d’autres peuvent croire à jamais évanoui, mais dont le culte, religieusement gardé, fut aux heures sombres la force rédemptrice de la nation et qui, par cela même, au moment où tant de rêves se réalisaient, après avoir été si longtemps regardés comme à jamais irréalisables, apparaissait à ces esprits enflammés par le succès comme le gage certain de l’avènement de leurs nouveaux rêves ou plutôt de leurs légitimes revendications. S’associant à ce double courant d’idées générales, les hommes d’état de l’Italie ont fait servir à l’accomplissement de la première partie de ce programme grandiose, — le maintien des conquêtes déjà faites, — qui était au reste celle dont justement ils se préoccupaient le plus, la force des idées qui en sont la seconde partie, et dont l’heure n’avait pas sonné. Là encore la situation politique de l’Europe, celle surtout de notre pays, les ramenait vers l’Allemagne, les rejetait loin de la France.

L’unité de l’Italie, virtuellement préparée par Magenta et Solferino, n’a jamais eu cependant de plus sérieux obstacle que la volonté de Napoléon III. « Rome capitale ! » tel était le mot de ralliement de tous les patriotes italiens, sans nuances de partis politiques ; or, sans compter la pensée secrète de constituer un royaume d’Etrurie au profit de son cousin, le prince Napoléon, sans rappeler un mot fameux tombé de la bouche de son ministre le plus autorisé, et que devaient sanctionner des actes décisifs, comme par exemple l’échauffourée de Mentana, « où les chassepots firent merveille, » jamais l’empereur n’eût admis comme possible la spoliation du saint-père. Le chef de la chrétienté devait garder l’antique patrimoine de Saint-Pierre comme garant de son indépendance, et c’était autrement que par le statut des garanties qu’il comprenait le programme du comte de Cavour : « L’église libre dans l’état libre. » Ressouvenir des luttes du fondateur de la dynastie impériale avec le prisonnier de Fontainebleau, où le prêtre désarmé avait vaincu le tout-puissant empereur, et auxquelles le roman, plus que l’histoire, avait fait une légende populaire ; crainte patriotique à l’idée d’une Italie une, puissante, créée par nous, mais devant, à une heure donnée, se dresser contre nous, comme Proudhon le démontrait avec tant de force dans son beau livre : du Principe fédératif ; dernier gage à ce parti clérical-conservateur avec lequel on était loin sans doute de la confiance des premières années, mais avec lequel on redoutait justement une rupture complète ; ou bien encore