Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/430

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

capitale, n’avaient pas de partisan plus convaincu que nous ; et pouvait-il en être autrement ? Que de fois n’avions-nous pas surpris au passage, échangés par des Italiens venant du haut des jetées d’Ancône, de Livourne ou de Gênes, contempler nos couleurs nationales, ces mots dans lesquels se résumaient leurs sentimens d’alors, leurs sentimens et aussi leurs espérances : E dove andate ? — Andiamo vedere sventolare questa bandiera di libertà. Le pavillon de la France, nos glorieuses trois couleurs, étaient bien, en effet, dans ces lointaines années, la bandiera di libertà, la bannière libératrice, et qui de nous ne souhaitait ardemment que cette liberté que nous croyions en ce moment notre conquête assurée, devînt le patrimoine de tous les peuples, la rédemptrice surtout de cette Italie où tant d’esprits d’élite, tant de cœurs généreux, tant d’âmes dévouées combattaient et savaient alors mourir pour elle ? Plus de trente ans sont passés depuis lors ; ces années nous ont jeté à tous plus d’un douloureux enseignement, et certes, lorsque naguère l’escadre mouillait devant Naples, que nous n’avions pas revu depuis si longtemps, si nous avions toujours gardé les convictions de notre jeunesse, nous n’étions plus le jeune enthousiaste de 1847 ; nous savions que, plus encore que nous-même, l’Italie et les Italiens avaient changé. Cavour, Garibaldi, Mazzini, Napoléon III, Pie IX, avaient fait leur œuvre, et cette œuvre, nous en avions suivi les développemens avec assez d’attention pour être convaincu que l’Italie nouvelle qui s’ouvrait à nos études, les Italiens nouveaux avec lesquels nous allions être en relations, différaient de tous points de ceux que nous avions connus à l’époque dont les vivans souvenirs hantaient en ce moment notre esprit. Nous comptions néanmoins que quelque chose aurait survécu de la sympathie d’autrefois, entre deux peuples de commune origine, dont les destinées furent toujours solidaires et dont l’un doit son indépendance et sa liberté autant aux victoires qu’aux revers, autant à la sagesse qu’aux défaillances politiques de la France. C’était là une illusion qui devait promptement se dissiper, mais elle était trop naturelle, et d’ailleurs tant de nos compatriotes la partagent encore, qu’il nous paraît nécessaire de rechercher brièvement et de montrer les causes diverses qui, depuis sa reconstitution, ont fait et font encore de l’Italie nouvelle le plus irréconciliable et peut-être le plus dangereux des ennemis que la France peut avoir un jour à combattre[1].

« Française contre l’Autriche, autrichienne contre la France, » telle fut de tout temps la politique de la maison de Savoie. C’est cette

  1. Les discours prononcés naguère à Paris, à l’anniversaire de la mort de Garibaldi, sont un exemple entre mille des illusions qu’on se fait en France.