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volontairement le ravisseur, celui-ci sera condamné à deux ans d’emprisonnement au moins et cinq ans au plus ; » car, disait la commission, « c’est précisément à cette époque de la vie des filles que les enlèvemens doivent être naturellement le plus communs ; » et je crois qu’elle avait raison et que le conseil d’état fut singulièrement mal inspiré de rejeter la proposition. Rien n’empêcherait d’ailleurs d’aggraver la pénalité, rien n’étant moins nécessaire que de favoriser les enlèvemens ou détournemens ; et M. Dumas, alors, si sévère qu’il soit aux séducteurs, nous accordera sans doute que vingt ans de travaux forcés seraient, dans les cas les plus graves, un châtiment suffisant.

Enfin, on pourrait en quelque manière légaliser et fixer, par un texte formel, une jurisprudence que plusieurs tribunaux et plusieurs cours d’appel, depuis quatre-vingts ans, ont essayé d’établir en matière de séduction. — Elle consiste, comme on sait, à poser que là même où, aux termes de la loi pénale, il n’y a ni crime ni délit, il peut toutefois y avoir lieu à réparation civile du dommage, et que, par suite, la fille séduite peut obtenir de son séducteur, à titre « d’auteur de dommage, » les secours ou la réparation qu’elle ne saurait faire dire qu’il lui doive comme père de l’enfant. De nombreux jugemens et de nombreux arrêts, rendus dans ce sens, peuvent être considérés comme une indication du texte qu’il resterait à rédiger. — Arrêts ou jugemens, ils ont, à la vérité, dans la magistrature et parmi les jurisconsultes, rencontré plus d’un contradicteur, et, dans l’état présent des choses, il est certain qu’ils tournent, et violent par conséquent, l’article 340. On ne peut contester, toutefois, qu’il y ait, dans bien des cas, un dommage réellement causé. Même si l’on admet que le dommage n’existe pas dans le passé, c’est-à-dire que l’entier consentement de la victime en ait singulièrement atténué la gravité, toujours est-il certain qu’il existe dans l’avenir, c’est-à-dire sous la forme d’une charge nouvelle que l’on impose à la mère de l’enfant. Si son travail la faisait vivre, comme on dit vulgairement, tout juste, et dans une médiocrité voisine de la misère, il y a lieu de croire que, où il y avait pour une personne, il n’y en aura pas pour deux. Un autre cas, plus fréquent encore peut-être, est celui où la nature même de la faute et de ses conséquences enlève à la mère le métier qui faisait son unique moyen de vivre : ainsi, dans nos campagnes, la fille de ferme séduite par son maître, l’ouvrière de fabrique dans nos villes, la femme de chambre, la gouvernante, l’institutrice, la demoiselle de compagnie. Cependant, même alors, il paraîtrait bien difficile d’admettre les tribunaux qui prononceraient sur la demande, à fixer la contribution, comme le veut M. Dumas, « selon la position » de l’homme condamné. La spéculation renaîtrait, comme en Angleterre avant la