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unions libres la seule raison qu’elles aient de rougir d’elles-mêmes, et quelquefois, par conséquent, d’essayer de se légitimer ? et qu’ainsi vous diminuez la dignité des unions légitimes de tout ce que vous ôtez aux autres de leur indignité primitive ? La preuve en saute aux yeux, dans les conclusions que n’hésitent pas à formuler des partisans de la recherche de la paternité plus logiques, ou plus résolus au moins, que M. Dumas lui-même[1]. « La dignité et la considération du mariage ne sont point engagées dans la question, » disent-ils ; et, pour le prouver, ils ajoutent que pour eux, « le mariage est une union fondée sur des convenances essentielles, librement formée, librement maintenue, » et qui ne doit durer que ce que durent ces « convenances essentielles. » On cherche alors quelles peuvent bien être au moins ces convenances essentielles ; et on trouve qu’elles sont tout simplement les convenances de la passion. C’est le mot fameux de Chamfort : « Quand un homme et une femme ont l’un pour l’autre une passion violente, il me semble toujours que, quels que soient les obstacles qui les séparent, un mari, des parens, etc., les deux amans sont l’un à l’autre de par la nature, et qu’ils s’appartiennent de droit divin, malgré les lois et les conventions humaines. » Au rebours de ceux qui trouvent qu’il n’y a rien de plus « poétique, » je trouve qu’il n’y a rien de plus « dégradant » que ce prétendu droit divin de la passion ; et je n’ai pas besoin de démontrer qu’il n’y a rien de plus dangereux.

Ce n’est pas tout. Quel que soit, en effet, l’objet ultérieur du mariage, — qu’il ait pour but, selon la formule du droit grec et romain, comme selon la formule de l’église, la procréation des enfans, ou, selon la formule de nos utopistes modernes, qui savent sans doute ce qu’ils veulent dire, « la synthèse de la vie commune entre les deux époux, » — toujours est-il qu’il a pour objet, au point de vue du droit civil, en fixant la paternité, de fixer à qui l’obligation incombe de nourrir et d’élever les enfans, c’est-à-dire de pourvoir pour sa part aux intérêts de la génération future et à la perpétuité de la patrie. Il est possible que l’on se marie, ou plus exactement que l’on croie se marier, pour soi ; cependant la plupart des mariages, au su de ceux qui les contractent, se font en vue de fonder une famille ; et en tout cas, dès que la famille est née, c’est elle qui devient l’objet presque unique du mariage. C’est pourquoi la société, qui semblerait pouvoir autrement s’en désintéresser, a jugé qu’il lui appartenait d’intervenir dans le mariage. Il lui importe que l’union de l’homme soit contractée sous de certaines

  1. Le Mariage : son passé, son présent, son avenir, par M. Emile Accolas. Paris, 1880, Marescq aîné.