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mariage suppose. Je n’apprendrai pas d’ailleurs à M. Dumas que la loi, dont il ne fait pas plus d’estime qu’il ne faut, tombe ici d’accord avec la physiologie, dont il fait souvent plus de cas qu’il n’y a lieu. Ce n’est pas seulement la majorité légale ou fictive de la femme, c’est sa majorité physique, si je puis ainsi dire, intellectuelle et morale, qui anticipe de trois ou quatre ans celle de l’homme. Au surplus, c’est un point sur lequel nous pouvons féliciter l’auteur de la Lettre à M. Rivet d’avoir enfin entendu raison. Il semble admettre maintenant, qu’en dépit de la barbe il puisse y avoir des adolescens, et des naïfs, qu’il ne soit pas inutile de protéger contre les manœuvres d’une fille d’expérience. Je voudrais seulement lui persuader qu’ils sont plus nombreux encore qu’il n’a l’air de le croire.

« Si l’on vous disait, s’est écrié quelque part un autre auteur dramatique, M. Ernest Legouvé, si l’on vous disait que la jeunesse des hommes n’a presque qu’un but, ravir leur vertu aux femmes ; et que tous, pauvres et riches, beaux et laids, nobles et roturiers, se précipitent à la poursuite de cette vertu, comme des limiers sur une bête de chasse… » Si l’on me le disait, quelque confiance que j’aie dans la parole de M. Legouvé, j’aurais l’impertinence d’en demander plus de preuves que l’on ne m’en donne. Le fait est que, dans nos sociétés contemporaines surtout, il y a un âge de l’homme qui l’expose à être aussi souvent séduit que séducteur. Même en l’absence de toute loi qui permette la recherche de la paternité, quantité de jolies personnes le savent, ’et en font leur profit. En face d’une Susanne d’Ange, un homme de trente ans, c’est M. Dumas qui nous l’apprend, — et un officier d’Afrique, — peut agir comme un niais. A plus forte raison, le soldat, si le capitaine ; et l’homme de vingt et un ans, si celui de trente. Sans doute le malheur sera moindre aujourd’hui qu’autrefois, et l’argument est moins considérable dans une démocratie que sous l’ancien régime. Il y avait alors un intérêt social de premier ordre à ce que l’héritier d’un grand nom ne se laissât pas choir dans les bras, ou plutôt dans le piège d’une baronne de contrebande. C’est ce que Cambacérès appelait un effet de l’orgueil. Parmi bien des manières d’infuser aux aristocraties vieillissantes ce qu’on appelle un sang nouveau, nul toutefois ne contestera que celle-ci fût de beaucoup la pire. On pouvait donc vraiment dire alors d’un intrigant de bas étage, revendiquant devant les tribunaux l’état d’un duc et pair, qu’il troublait la société. En l’an de grâce 1883, j’avoue qu’il la troublerait moins. Et si les intérêts matériels qu’il inquiéterait sont certainement respectables, on conçoit aisément que de certains intérêts moraux pussent en balancer l’importance. Supposé que l’on prouvât, pour telles et telles