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l’auteur dramatique, en aucun cas, et quoi qu’il écrive, drame ou roman, brochure ou volume, ne saurait abdiquer cette « certaine manière de voir qui n’est pas absolument la vraie ? » Et, bien loin d’apercevoir ici la moindre nuance de mépris, puisque c’est son mot, n’est-ce pas plutôt un hommage rendu à son talent que, dans la défiance même des jurisconsultes, — et dans la mienne, — M. Dumas devra véritablement reconnaître ? Car il serait plus compétent à discuter les questions sociales s’il avait remporté moins et de moins retentissans succès sur la scène ; et ni nos magistrats ni nos jurisconsultes ne seraient tant en garde contre lui si ses romans dormaient chez le libraire. Mais il est la victime de son talent et la dupe de sa propre gloire. De combien de ses contemporains croit-il qu’on en pût dire autant ?

Au surplus, quiconque lira tout d’une haleine, comme elle doit être lue, cette Lettre à M. Rivet, y retrouvera partout, à chaque page, à chaque ligne, à chaque mot l’auteur dramatique. Et c’est même ce qu’il y a d’étonnant, qu’ayant déjà discuté tant de fois cette question de la recherche de la paternité, la plupart des argumens que l’on oppose à M. Dumas soient devant ses yeux comme s’ils n’existaient pas. « Profitons de ce que nous sommes encore un peu auteur dramatique, y dit-il quelque part, avec une ironie mêlée d’une certaine amertume, pour faire notre exposition bien claire et pour bien mettre notre sujet en scène. » Mais il ne se contente pas d’en profiter ; il en abuse. Les questions de morale sociale ne se laissent pas « exposer » si clairement, et l’on ne met pas si facilement « en scène » un sujet tel qu’est celui de la recherche de la paternité. J’oserais même répondre qu’il n’y a rien qui soit plus propre à mettre les jurisconsultes en défiance que cette exposition si claire et cette mise en scène si vivante. Car, comment un sujet si complexe serait-il tout à coup devenu si simple, si ce n’était que M. Dumas, y négligeant tout ce qui l’embarrasse, n’en a voulu voir que ce qui convenait à son dessein et menait droit à son dénoûment ? Et voilà toute la difficulté.


II

Que fait-il de l’histoire d’abord et de ce qu’elle offre d’argumens, de quelque poids pourtant, contre la recherche de la paternité ? Datons-nous d’hier, et le Fils naturel, en 1858, a-t-il posé la question pour la première fois ? Mais si des magistrats et des jurisconsultes, si des tribuns et des législateurs l’avaient discutée, par hasard, avant même que nous fussions nés, et résolue d’une certaine manière, est-il permisse passer sans y faire plus