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« Je vous dois des excuses, monsieur, d’avoir autant tardé à vous répondre. Mes excuses ne sont malheureusement que trop bonnes. Presque tout mon temps a été consacré à des affaires ou à des adieux. Il ne reste plus que M. Julien et moi de la société dans laquelle vous vous plaisiez, cet hiver. Et nous répétons sans cesse à cet appartement si fier autrefois de ceux qui le visitaient :


Déplorable Sion, qu’as-tu fait de ta gloire ?


Il va être bientôt abandonné ; dans peu de jours, je pars pour les eaux. J’ignore l’effet qu’elles me feront celles auront à mes yeux une vertu très puissante si elles me tirent de l’état où je suis. C’est la foi qui sauve. Il faut donc tâcher d’en avoir. Je tâche. M. Joubert n’est parti qu’il y a trois jours ; il était dans une assez bonne veine de santé.

« J’ai enfin déjeuné avec Mlle Duchesnois. J’en ai été enchantée à la lettre. Il m’est impossible de pardonner à ceux qui l’a trouvaient bête. Elle est simple, naïve et distraite ; mais si vous trouver moyen d’attirer son attention, vous voyez tout de suite ses yeux s’animer, son visage s’embellir. Alors elle parle bien, et, en peu de mots, elle entend très bien tout ce qu’on sait lui faire comprendre. Il ne s’agit que de trouver la corde sensible.

« Elle est très digne avec les hommes, très respectueuse avec les femmes. Cette conduite n’est certainement pas celle d’une bête. Je n’espère plus la voir jouer avant mon départ et m’étais longtemps flattée d’Ariane. Jugez quelle contrariété !

« J’espère que le redoutable Geoffroy ne viendra pas me persécuter jusqu’au Mont-d’Or ; j’y trouverai assez d’ennuyeux et d’importuns sans lui. Vous ne connaissez pas, monsieur, toutes les mâchoires auvergnates. Si Samson en eût rencontré une, il eut fait une bien autre besogne. Jamais plus on n’aurait parlé des Philistins. Pourvu que je ne sois pas forcée de vivre en société, c’est tout ce que je désire. Après la société que je quitte, il n’y a de bon que la solitude, parce que c’est une manière de la retrouver.

« Adieu, monsieur, recevez l’assurance de mon tendre attachement. Je me trouverai bien heureuse si jamais nous sommes encore tous réunis.

« M. B. (MONTMORIN-BEAUMONT). »


On voit quelle variété de goûts, quel besoin de se passionner pour toutes les manifestations du talent possédait cette âme de