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de la vieille Auvergne. Aussi l’Histoire de Port-Royal l’occupa-t-elle plusieurs mois. Il lui semblait que, dans un chrétien, l’esprit devait être janséniste et le cœur un peu moliniste, Elle attribuait toutefois cette dernière partie de ses souhaits à ce qu’elle appelait les préjugés de sa jeunesse. Une de ses tantes, l’abbesse de Montmorin, était un peu l’amie des jésuites. Toujours est-il que, dans les premières ardeurs de son zèle janséniste, elle écrivait à Joubert : « Si Port-Royal eût encore existé, j’étais en danger d’y courir[1]. » Elle se contenta de relire les Provinciales.

Gardons-nous de croire à travers ces sérieuses lectures que nous ayons en face de nous une pédante. Elle avait eu grand’peur de le devenir. Ses ouvrages favoris l’eussent guérie. C’était d’abord. La Bruyère qui lui avait appris à rire avant que d’être heureuse, sous peine de mourir avant d’avoir ri ; Le Tasse, une passion qu’elle devait partager avec Chateaubriand ; Tristram Shandy, qui l’amusait singulièrement et qui plaisait aussi à Joubert, de telle sorte qu’elle s’imaginait quelquefois qu’il lisait Sterne par-dessus son épaule. Mais sa lecture préférée était la Correspondance de Voltaire. Elle lui tenait lieu de société et de la société la plus spirituelle. C’était Joubert qui lui avait conseillé de lire ces lettres ; il se piquait d’avoir le mérite de deviner le goût de son amie, et l’un de ses tourmens était la conviction que L’esprit de Pauline ne s’était pas encore occupé des objets les plus propres à lui donner des ravissemens. Il était impatient de voir en sa possession les ouvrages les plus capables de la charmer. Cela le rendait fort affairé : « Si Dieu me prêtait vie, lui écrivait-il, et mettait devant mes yeux les hasards que je lui demande, il ne me faudrait cependant que trois semaines pour amasser tous les livres que je crois dignes d’être placés, non pas dans votre bibliothèque, mais dans votre alcôve, et si je parviens à me les procurer, il me semblera que je n’ai plus rien à faire au monde[2]. »

Joubert, en effet, n’aimait que les petits livres, ceux qui n’occupent que peu de place et font les délices des délicats. Les très bons écrivains avaient peu produit, parce qu’il leur avait fallu beaucoup de temps pour réduire en beauté leur abondance ou leur richesse, Ainsi pensait Joubert, et il citait le mot de saint François de Sales : « J’ai cherché le repos partout et je ne le trouve que dans un petit coin et avec un petit livre[3]. »

Ces premières années de tendre et expansive amitié, de

  1. Lettre de mai 1797.
  2. Lettre du 15 mai 1797.
  3. Lettre du 30 mars 1804.