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l’opposition, convocation anticipée des chambres, demandes de crédit, crise ministérielle.

C’est à ce moment qu’un nouveau sujet de préoccupation vint assaillir l’esprit des spéculateurs. La Gazette de l’Allemagne du Nord publiait un article destiné à prouver au monde entier que la France, seule entre toutes les nations, menaçait à l’heure actuelle la paix européenne, et que ses perpétuelles et bruyantes aspirations à la revanche constituaient un état de choses déplorable dont les autres puissances ne pourraient accepter la continuation.

Cet article, dont la forme était si violente, que les journaux anglais eux-mêmes en ont paru indignés, était-il une simple boutade, une fantaisie de rédaction, sans portée politique, ou bien fallait-il le considérer comme un avertissement brutal et direct de M. de Bismarck ? La question, ainsi posée à la Bourse, ne pouvait se résoudre que par la baisse. Cependant les inquiétudes de ce côté prirent un corps. Le Reichstag allemand avait été convoqué en session extraordinaire et devait uniquement délibérer sur un projet de traité de. commerce entre l’Allemagne et l’Espagne. Si cette assemblée n’était saisie par le gouvernement de Berlin d’aucune autre proposition, il n’y avait plus à s’occuper de l’article de la Gazette de l’Allemagne du Nord. Si cet article avait une portée vraiment menaçante, on en devrait trouver le commentaire, et, en quelque sorte, l’interprétation officielle dans le message impérial adressé au Reichstag.

Les inquiétudes du monde financier se portaient ainsi à la fois du côté du Tonkin et du côté de l’Allemagne. L’horizon était chargé de nuages ; la première nouvelle fâcheuse eût déterminé une panique. En attendant, on voyait les rentes fléchir de quelques centimes chaque jour ; le 4 1/2 pour 100 tombait à environ 108 francs ; le 3 pour 100 à 79 fr. 40 ; le Suez, au-dessous de 2,400 francs ; la Banque ottomane, à 735 francs ; l’Extérieure d’Espagne, à 58 francs ; le Crédit foncier, à 1,290 francs. Les transactions devenaient de plus en plus restreintes ; on pouvait constater une sorte de suspension des opérations à terme.

Le revirement a commencé à se produire lorsque le télégraphe eut apporté la nouvelle du succès de l’amiral Courbet devant la rivière du Hué. On apprenait coup sur coup l’enlèvement des forts, l’occupation des défenses de la rivière, le départ du commissaire civil pour Hué, et la capitulation imminente du souverain de l’Annam. Ce succès dégageait de tout péril le corps expéditionnaire opérant au Tonkin, simplifiait singulièrement l’entreprise commencée dans l’extrême Orient, enlevait tout caractère de gravité à l’envoi de quelques renforts, consolidait le ministère et rendait inutile toute convocation des chambres.

Le jour même où une dépêche du gouverneur de la Cochinchine portait à la connaissance du ministre de la marine les clauses du