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envoyé auprès de l’empereur Guillaume dans une de ses stations habituelles d’été, et il a reçu du souverain allemand des marques de faveur particulières. Puis les deux empereurs ont eu une entrevue des plus cordiales à Ischl. Maintenant le comte Kalnoki et le prince de Bismarck en personne viennent de se rencontrer sur la route de Gastein comme pour continuer et achever une œuvre commencée. Le secret de ces entrevues et de ces conférences intimes est, selon toute apparence, le renouvellement ou la confirmation de l’alliance de l’Allemagne et de l’Autriche, qui tend de plus en plus à se resserrer, à se compléter, et à devenir sous la main puissante de M. de Bismarck le grand ressort de la politique européenne. D’un autre côté, tous ces jeunes souverains du Danube, le roi de Serbie, le roi de Roumanie s’empressent à Vienne et à Berlin, avec la meilleure volonté d’entrer dans l’alliance centrale. Bientôt le roi d’Italie, qui est déjà de toutes les combinaisons, paraît devoir aller faire cortège à l’empereur Guillaume, aux grandes manœuvres de l’armée allemande. Il n’est pas jusqu’au roi d’Espagne, pourtant assez occupé de ses insurrections militaires, qui ne soit, dit-on, disposé à faire son voyage d’Allemagne, et à aller figurer aux manœuvres de Hambourg, rendez-vous des princes. Toutes les constellations se réunissent autour de l’astre dominant. M. de Bismarck pour suit visiblement son vaste dessein de façonner une Europe à son usage, de rassembler sous sa main toutes les forces qu’il pourra, et toutes ces réunions, tous ces mouvemens de princes et de diplomates s’agitant aujourd’hui ne sont pas sans doute étrangers aux combinaisons de sa diplomatie.

On en était là des commentaires sur tous ces voyages princiers ou diplomatiques et ces entrevues d’Allemagne lorsque soudainement a éclaté un de ces coups de tocsin dont le terrible chancelier a le secret. Un journal de Berlin, la Gazette de l’Allemagne du Nord, a jeté brusquement, à la curiosité de l’Europe surprise, un de ces défis qui lui sont familiers. L’irascible gazette, pour tout dire, a publié un article visiblement calculé, plein de menaces et d’injures contre la France, qu’elle accuse de toute sorte de méfaits, de préméditations guerrières, de projets de revanche prochaine, de procédés haineux et hostiles contre l’Allemagne. Et, comme pour aggraver cet étrange manifeste, comme pour lui donner une signification plus menaçante ou plus irritante, l’article, à ce qu’il paraît, a été affiché sur les murs de Metz. Oui, vraiment, c’est notre pays qui est le boutefeu de l’Europe ! C’est la France qui, avec ses ambitions turbulentes, ses polémiques furieuses, ses essais de mobilisation, ses frontières hérissées de forteresses, ses armemens, menace la pacifique Allemagne, et naturellement l’Allemagne, si pacifique qu’elle soit, ne peut se laisser surprendre ! Elle doit se préparer et frapper avant d’être frappée. On nous le signifie assez crûment : « Si la France, nous dit-on, veut réellement la guerre