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système, les passions les plus vulgaires se déguisant sous une couleur républicaine, les emplois les plus simples devenant un monopole de parti, une monnaie électorale. On n’imagine pas l’espèce de terreur qui règne aujourd’hui parmi les petits employés à la veille d’une élection. Le pays le sent : il sent aussi qu’avec une politique extérieure ! sans suite et sans autorité, on l’entraîne dans des aventures qu’il ne comprend guère, dont il ne démêle ni les proportions ni l’objet, et il se demande ou on veut le conduire. C’est le secret d’un malaise qu’un gouvernement infatué est toujours le dernier à connaître, dont il ne s’avoue pas surtout les causes, et qui n’existe pas moins. — Pure exagération, dira-t-on : le pays, toutes les fois qu’il est interrogé, vote avec une persévérante fermeté pour la république, pour des républicains. Rien de plus vrai, et c’est là précisément ce qu’il y a de curieux ; c’est un phénomène caractéristique du suffrage universel. La masse, en effet, vote pour la république, pour les républicains, par une sorte d’instinct conservateur, parce que la république existe, parce qu’il faudrait une révolution pour la remplacer ; elle le croit ainsi, et c’est cet instinct conservateur qui commence à se sentir trompé par une politique dont le dernier résultat est d’altérer toutes les conditions intérieures de la France, d’exposer surtout notre pays à un périlleux isolement au milieu de toutes les complications extérieures.

Ces complications extérieures, elles sont certainement aujourd’hui de diverse nature, et à la rigueur les moins graves sont peut-être encore celles qui tiennent à toutes ces expéditions que le gouvernement s’est plu à engager à la fois sur toutes les mers, dans les régions les plus lointaines. On aura sans doute raison sans trop d’efforts de l’affaire de Madagascar et des difficultés momentanées que les premières opérations de nos marins ont soulevées avec l’Angleterre. Entre les gouvernemens la question semble à peu près apaisée, et tout ce qu’on peut dire, c’est que le ministère français a eu la médiocre fortune de mettre l’énergique officier chargé de conduire cette campagne, M. l’amiral Pierre, dans l’obligation de résigner son commandement. Au Tonkin, les affaires restent assurément toujours assez obscures, avec les divergences de direction qui les compliquent et les engagemens incessans, souvent meurtriers, que nos soldats sont obligés de soutenir. Elles paraissent, il est vrai, être entrées tout récemment dans une phase nouvelle par une négociation que les agens français sont allés ouvrir à la petite cour de Hué, avec le nouveau souverain de l’Annam, et qui a conduit presque aussitôt à un traité ou à des préliminaires de paix. Le successeur de Tu-Duc, à ce qu’il semble, n’a pas longtemps résisté à une action rapide et décisive de notre marine, au bombardement des forts de la rivière de Hué : il s’est hâté de souscrire aux conditions qui lui ont été imposées, confirmant le traité de 1874, assurant de nouveau le protectorat français sur l’Annam comme sur le