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juste. On ne s’y est pas trompé en France, on a bien senti qu’avec la catastrophe de Frohsdorf, avec cette fin douloureuse d’un prince transmettant dans ces circonstances à d’autres princes les traditions et l’honneur d’une grande race, il y avait quelque chose de changé. On ne s’y trompe pas plus en Europe, et les affectueux hommages qui accompagnent M. le comte de Chambord dans sa sépulture de Goritz n’excluent pas l’examen attentif, curieux, prévoyant d’une situation jusqu’à un certain point si nouvelle.

Et maintenant, en effet, que va-t-il résulter de cet événement ? Est-ce à dire qu’il y ait à prévoir des conséquences immédiates ou même prochaines ? C’est aller un peu vite. Il y a sans doute les esprits altérés de nouveautés et prompts à prédire l’avenir. Il y a les amis toujours pressés de voir se réaliser leurs espérances et les ennemis toujours prêts à provoquer de fausses démarches dont ils comptent profiter. M. le comte de Paris en est encore à remplir les premiers devoirs de son deuil, à conduire M. le comte de Chambord dans l’asile de paix où il va reposer loin de tous les bruits terrestres, et déjà il est assailli de toute sorte de questions. Il aurait à peine le temps de répondre à tous ceux qui veulent savoir sans plus de retard quels sont ses projets et ses intentions. — Que va faire le nouveau chef de la maison de France ? quel titre doit-il prendre ? a-t-il déjà préparé son manifeste, le programme de son avènement ? quelle politique a-t-il en réserve pour satisfaire tout le monde ? L’interrogatoire est complet, et, à la rigueur, M. le comte de Paris n’a pas même besoin de répondre ; on se charge bien au besoin de le faire parler et agir. Restons dans la réalité. Il est infiniment vraisemblable que M. le comte de Paris ne fera pas tout ce qu’on lui demande, tout ce qu’on lui prête, qu’il fera ce qu’il doit faire autrement qu’on ne le dit et que, dans tous les cas, la mort de M. le comte de Chambord n’est pas destinée à avoir des conséquences si prochaines. Il est à présumer que rien ne sera changé dans la conduite prudente des princes, par cette raison bien simple qu’ils n’ont pas besoin de s’illustrer par des coups de théâtre, qu’on sait ce qu’il » sont, ce qu’ils représentent.

Le seul point acquis, suffisamment constaté, c’est qu’il y a phis que jamais une monarchie unie, libérale, constitutionnelle, qui, dans certaines circonstances, peut offrir au pays le repos, la garantie de ses intérêts et de ses libertés, à l’abri d’un drapeau connu de lui. C’est le point supérieur, le reste compte peu. On rapporte qu’un sénateur républicain, homme d’esprit, aurait dit familièrement, il y a quelques semaines, avant la fin de la session, à un conservateur du sénat qui n’est pas moins homme d’esprit : « Voilà un grand événement, — la mort prévue de M. le comte de Chambord ! Nous allons être obligés les uns et les autres à jouer serré ! Vous nous forcerez à être sages ; puis, si nous ne le sommes pas, vous tâcherez de nous