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veille. Cinquante ans sont passés : la mort du petit-fils de Charles X ; de M. le comte de Chambord, a certainement un autre caractère, et peut avoir une autre portée.

Tout a changé en France et en Europe. Les expériences se sont multipliées ; les révolutions qui se sont succédé ont emporté bien des ressentimens. Les scissions de famille qui ont été si longtemps une des plus graves difficultés sont effacées par de généreuses réconciliations. Il n’y a plus, comme on pouvait le dire encore en 1871, deux dynasties royales, deux drapeaux, deux traditions ; il n’y a plus que la maison de France, dont l’union a été scellée de nouveau par un prince mourant. La monarchie sera, ou elle ne sera pas : elle n’a plus, dans tous les cas, qu’une représentation officielle dans une famille de princes éprouvés, et par un concours frappant de circonstances, l’hérédité naturelle fait passer le titre monarchique à ceux qui n’ont rien à changer, ni leurs idées, ni leur drapeau, qui n’ont qu’à rester eux-mêmes pour être tout à la fois les représentans de la tradition et les fils de la France moderne. Certes, l’esprit de parti a pu souvent dénaturer les idées de M. le comte de Chambord, ou interpréter avec perfidie des opinions qu’il exprimait avec candeur, sans aucun calcul. Si attaché qu’il fût à sa foi religieuse et à son idéal de royauté, il n’aurait sûrement jamais fait tout ce qu’on lui prêtait ; il n’aurait pas rétabli des institutions surannées, pas plus qu’il n’aurait prêché une croisade pour le rétablissement du pouvoir temporel du pape. Il s’en défendait quelquefois avec une naïveté qui donnait de nouvelles armes ; les polémiques recommençaient sans cesse. Il y avait visiblement jusque dans les masses un vieux préjugé prompt à se réveiller, une vieille défiance contre une monarchie perpétuellement représentée comme une résurrection du passé. Aujourd’hui cet artifice de parti n’a plus de sens. On ne peut évidemment parler de la dîme, des droits du seigneur, du drapeau blanc, du gouvernement des curés, de la guerre pour le pape ! Ce serait une puérilité. Tout le monde, jusqu’au dernier paysan, sait que les princes appelés à recueillir l’héritage des traditions dynastiques représentent une monarchie qui a son drapeau, ses idées, qui ne peut exister que par un intime accord avec la volonté nationale, avec les sentimens de la société moderne. Ils représentent aux yeux de tous la monarchie possible dans la vieille France, renouvelée par la révolution de 1789. C’est là justement ce qui fait de cette mort de M. le comte de Chambord un événement autrement important qu’a pu l’être autrefois la mort d’un vieux roi déjà « retranché des têtes couronnées, » selon le mot de M. Victor Hugo, et expirant dans une situation si différente. C’est ce qui donne une sérieuse signification à ce changement qui peut ouvrir des horizons encore peu définis, en laissant entrevoir des combinaisons, des éventualités qui peuvent dépendre de bien des circonstances imprévues. Il y a dans ces affaires délicates un instinct public toujours assez