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pratique et ceux qui, par aventure, s’étaient laissés aller au courant, s’empressent, ainsi que lord Palmerston l’a fait en 1862, de le remonter ! Tant qu’on n’aura pas vaincu cette résistance, le principe de l’inviolabilité de la propriété privée sur mer ne prévaudra pas dans le code international des peuples civilisés.

C’est ce que M. de Boeck a très bien compris. Aussi rien de plus pressant, de plus habile et de plus persuasif que son appel au bon sens anglais, aux intérêts anglais. L’un des rédacteurs de cette Revue, M. de Laveleye, dans une brochure publiée à Bruxelles en 1875, avait ouvert le feu, c’est-à-dire montrait avec une grande vivacité d’expressions et une grande fermeté d’argumentation que l’Angleterre est semblable à un vaste atelier travaillant pour tout l’univers et que toutes ses importations, toutes ses exportations se faisant par navire, nul autre pays ne dépend à ce point de la liberté des mers. Qu’une guerre éclate entre elle et un état quelconque des deux mondes, que cet état mette en mer dix ou vingt croiseurs plus rapides et mieux armés que l’Alabama, et tout le commerce anglais passe aux mains des neutres par le seul effet de l’élévation des assurances. Or, comme les neutres ne pourraient suffire à tous les transports que fait aujourd’hui la marine marchande anglaise, les exportations et les importations nécessaires à la vie industrielle de l’Angleterre seraient profondément affectées. M. de Boeck reprend et poursuit ce raisonnement en mettant, par hypothèse, l’Angleterre aux prises soit avec la France, soit avec la Russie, soit avec l’Allemagne et conclut avec M. de Laveleye que la capture peut être un moyen sérieux de nuire, employée contre l’Angleterre, non par l’Angleterre. On ne peut pas faire un plus grand effort pour détacher les Anglais d’une pratique funeste, et, s’ils ne sont pas convaincus, c’est qu’aucun publiciste ne les convaincra : le temps seul et les événemens les amèneront à résipiscence.

Avec quelque ardeur que M. de Boeck défende l’inviolabilité de la propriété privée sur mer, il n’écrit pas pour écrire et ses projets de réforme gardent un caractère pratique. Il étudie lui-même avec un soin minutieux les « restrictions légitimes et nécessaires » que comporte le principe. A ses yeux comme aux nôtres, la contrebande de guerre sera toujours de bonne prise et le blocus ne deviendra pas illégitime. Jusqu’ici la théorie du blocus n’a intéressé que les neutres, puisque le navire ennemi avec sa cargaison ennemie peut être saisi par cela seul qu’il rencontre en mer un croiseur de l’autre belligérant : elle intéresserait désormais tout le monde, ennemis et neutres, puisque la propriété privée ennemie, inviolable en principe, deviendrait saisissable pour infraction à la loi du blocus. Il faudra donc définir avec toute la netteté possible les conditions du blocus : autrement et pour peu que le bloquant les méconnaisse à son profit, le droit de prise n’aurait été rayé