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l’habitude, les échanges entre l’intérieur de la Chine et les pays étrangers continueraient longtemps encore à s’effectuer principalement sur le marché de Canton. Cette dernière explication pouvait être acceptée dans une certaine mesure ; mais il n’en demeurait pas moins établi que le gouvernement chinois était peu disposé à faciliter l’installation des Européens sur divers points du littoral : sa politique traditionnelle l’engageait à repousser autant que possible ce qu’il considérait comme une véritable invasion. Il faut ajouter qu’à cette époque, l’intérieur de la Chine était le théâtre d’une insurrection qui avait pris les proportions d’une guerre civile, arrêtant la production dans plusieurs provinces et interrompant les communications avec la mer. Pour ces divers motifs, le commerce ne fit point les progrès que l’on avait immédiatement espérés à la suite des traités, et la déception fut d’autant plus grande que les négocians anglais et américains avaient augmenté sensiblement les frais généraux, le capital, les moyens de transports destinés aux transactions avec l’extrême Orient. De là un malaise général qui, s’ajoutant à la tension permanente des rapports officiels entre les mandarins et les consuls, devait amener une nouvelle guerre. Les Anglais, notamment, qui l’emportaient de beaucoup sur les autres nations quant au chiffre des affaires, appréciaient, malgré leurs mécomptes, les ressources immenses que leur offrait dans l’avenir le marché de la Chine ; ils avaient intérêt à recommencer l’assaut contre ce marché, puisque la première brèche était reconnue insuffisante ; et, comme le gouvernement chinois, affaibli par la guerre civile, se trouvait hors d’état d’opposer une résistance sérieuse, le moment paraissait opportun pour lui donner, à coups de canon, une seconde leçon de civilisation et de free-trade. Il suffit d’une misérable querelle survenue en 1857, à propos d’un petit bateau de pêche (la lorcha Arrow) pour justifier la reprise des hostilités, au profit de la politique anglaise et du commerce européen. Le docteur Bowring, un économiste, membre de tous les congrès de la paix, était alors gouverneur de Hong-Kong, mais lord Palmerston était ministre des affaires étrangères, et son humeur belliqueuse ne pouvait résister à l’entraînement d’une guerre contre les Chinois.

À cette guerre, entremêlée d’incidens diplomatiques dont la Revue a publié le récit[1], lord Palmerston eut le talent d’intéresser et d’associer la France qui avait à se plaindre de nombreux actes de persécution commis contre les missions catholiques, malgré la stipulation formelle du traité de 1844. Les alliés eurent raison de la Chine, à laquelle ils imposèrent, en 1858, les traités, de Tientsin, et, en 1860, les traités de Pékin. Ces conventions devaient nécessairement

  1. Voyez la Revue du 1er mars 1858, du 1er juillet et du 1er décembre 1859, du 15 juillet et du 1er août 1865.