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américaine en observant nos opérations sur le fleuve Rouge, ainsi que l’état de nos relations avec l’empereur d’Annam et surtout avec le cabinet de Pékin. Il suffira d’une courte étude d’histoire et de statistique commerciale pour exposer la situation politique de l’Europe dans l’extrême Orient, et pour apprécier l’importance des intérêts qui se rencontrent et qui risquent de se heurter dans ces lointaines contrées.


I

Au commencement de ce siècle, le commerce de l’Europe et des États-Unis avec les pays de l’extrême prient, Chine, Japon, Cochinchine et Siam, représentait à peine une valeur de 200 millions de francs. Actuellement, il est de 2 milliards. Et, si l’on observe les conditions dans lesquelles s’est produit cet accroissement, ainsi que les facilités de plus en plus grandes qui entretiennent et développent les communications maritimes, on doit prévoir, dans un avenir prochain, des progrès encore plus rapides. Sauf pour la Cochinchine, le mouvement du commerce n’est point dû à la création d’un établissement colonial ni aux encouragemens ou aux sacrifices d’une métropole ; il est le produit de l’échange avec une région qui compte quatre cents millions d’habitans, sur un vaste marché longtemps fermé, à peine entr’ouvert aujourd’hui, et auquel donnent accès de nombreux ports et des fleuves larges et profonds. Avec de pareils élémens, le progrès futur est sans limites. Le vieux monde asiatique, sorti de l’isolement, devient, pour toute l’Europe, une colonie qui ne coûte rien, qui rapporte beaucoup, et dont les profits valent la peine d’être âprement disputés : de là les compétitions, les luttes d’influences, la concurrence commerciale et maritime, les conflits, peut-être, que doit naturellement provoquer l’exploitation commune de ce grand domaine.

Les Portugais et les Espagnols parurent les premiers, au XVIe siècle, sur le sol de l’Asie ; c’était l’époque des découvertes ; à leur suite vinrent les Anglais, les Hollandais, les Français. Les établissemens qui furent alors créés, l’Inde, les Philippines, les Moluques, Java, demeurèrent jusqu’à la fin du XVIIIe siècle rigoureusement soumis au régime exclusif connu sous le nom de « système colonial. » Ils n’entretenaient de relations avec l’Europe que par l’intermédiaire de leurs métropoles, ils ne trafiquaient pas entre eux ; et l’organisation de compagnies privilégiées, dont quelques-unes étaient investies de véritables droits de souveraineté, rendait plus facile l’exécution des lois sévères qui s’appliquaient aux opérations du commerce. Dès l’origine cependant, sur les traces des Portugais, qui avaient pris pied à Macao, les colons de l’Inde s’étaient aventurés dans les eaux de la Chine, et ils avaient obtenu l’autorisation de créer des factoreries à Canton, où se vendaient la soie et le thé. Ce trafic ne faisait point