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l’amiral, accompagné de sa mère, des ducs d’Anjou, d’Alençon, de Nevers, de Montpensier, de Thoré, de Méru, de Retz. L’amiral fit sortir tout le monde de sa chambre, excepté sa fille et Téligny. La conversation commença à haute voix, puis, à la demande de l’amiral, le roi fit éloigner sa mère et son frère de quelques pas. Charles IX et l’amiral causèrent longtemps à voix basse. On a encore bien des doutes sur l’authenticité du « Discours du roy Henri III à un personnage d’honneur et de qualité estant près de Sa Majesté à Cracovie, des causes et motifs de la Saint-Barthélémy. » Si cependant on acceptait ce récit, Coligny, sans accuser la reine mère du crime, aurait, dans l’intérêt de sa politique, conseillé au roi « de la tenir pour suspecte et d’y prendre garde. » Aux questions faites par Catherine après l’entrevue, le roi aurait répondu avec un geste furieux : « Mort Dieu ! puisque vous l’avez voulu savoir, voilà ce que me disoit l’amiral. » On parla certainement de l’Espagne : Coligny montra sans doute au roi dans la guerre étrangère le seul remède contre les passions dont il était la victime. Avec quelle anxiété la reine mère, le duc d’Anjou, Retz ne durent-ils pas écouter le murmure de ces deux voix ! La reine mère avait juré la perte de l’amiral depuis la mort de Charry ; elle n’avait pas eu de peine à souffler sa haine au duc d’Anjou, Retz était leur complice. Le roi demanda à voir la balle extraite par Ambroise Paré, il l’examina et la donna à la reine mère, qui la prit entre ses doigts et dit : «  Je suis bien aise que la halle n’est pas demeurée dedans ; car il me souvient que, lorsque M. de Guise fut tué devant Orléans, les médecins me dirent quelquefois que, si la balle estoit dehors, encore qu’elle eust été empoisonnée, il n’y avoit danger de mort. » Cette parole, si elle a été vraiment prononcée, était cruelle et dut réveiller des souvenirs douloureux ; mais l’amiral, jusqu’à la fin de cette longue visite, qui dura toute une heure, ne se départit pas un instant de son calme et de sa patience.

Ici vient se placer une énigme historique, qui n’est encore qu’imparfaitement résolue. Il paraît certain que le jour où il fit cette visite à l’amiral, le roi n’avait pas encore l’idée du massacre des huguenots ; il avait fait fermer les portes de Paris, renforcé ses gardes, donné des Suisses comme gardes à l’amiral ; ces précautions n’avaient été prises qu’à bonne intention. Le lendemain, tout changea de face ; dans l’après-midi du 23, la reine fit croire au roi à un grand complot, à une attaque projetée du Louvre par les gentilshommes de la religion. Elle lui montra le Louvre plein d’ennemis, puisque le prince de Navarre et Condé avaient avec eux quatre-vingts gentilshommes ; les huguenots devaient faire une nouvelle prise d’armes, leurs rendez-vous étaient convenus ; ils remplissaient Paris de leurs menaces ; les amis de l’amiral parlaient de l’emmener sans tarder