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meilleure opinion que l’amiral.  » Les agens de Philippe II s’effrayaient des velléités du jeune roi et le voyaient avec terreur échapper à ses plaisirs et se livrer à de nouvelles pensées.

L’amiral, jusqu’alors retenu par d’instinctives méfiances, sentit se fondre par degrés ses appréhensions : l’espoir d’entraîner son roi dans l’exécution d’un grand dessein lui cacha, plus encore que son courage, les périls auxquels on lui demandait de s’exposer. Tout conspirait à le tromper : les froideurs témoignées par le roi aux Guises, le retour de faveur des Montmorency, les cauteleuses attentions de la reine mère, le vent de guerre prochaine qui animait toute la noblesse. Le roi allait venir pour ainsi dire au-devant de lui en allant à Blois ; il se rendit enfin et à ceux qui lui faisaient peur des poignards : « Rien ! rien ! je me fie en mon roy et en sa parolle ; autrement ce ne seroit poinct vivre que de vivre en telles alarmes ; il vaut mieux mourir un brave coup que de vivre cent ans en peur.  » Philippe II, apprenant que l’amiral allait partir pour la cour, écrivait à Alava qu’il ne comprenait pas que le roi de France admît en sa présence un personnage aussi mauvais, aussi astucieux, si ce n’était pour s’assurer de lui et lui faire trancher la tête.

Au moment de partir pour la cour, Coligny était si pressé d’argent qu’il dut recourir à la garantie de trois marchands de La Rochelle pour acheter à l’échevin Jacques Guiton quelques aunes de drap de laine et de drap de soie. Il alla joindre le maréchal de Cossé et partit avec lui pour Blois : il y arriva avec une très faible escorte, le 12 septembre 1571 ; pour mieux montrer sa confiance dans le roi, il avait prié ses amis de ne pas le suivre. Les Guises étaient partis : Charles IX reçut l’amiral dans la chambre de sa mère, qui gardait le lit. Suivant un récit du temps, le jeune roi, voyant Coligny s’incliner « pour luy embrasser le genouil avec une fort grande révérence,  » le releva vivement et, « l’appelant son père, protesta qu’il n’avoit eu un jour qui luy fust plus agréable et qu’il espéroit que ce seroit la fin de tous troubles et guerres civiles. Nous vous tenons maintenant, ajouta-t-il en riant ; vous n’échapperez pas d’icy quand vous voudrez ! » On a souvent commenté ces dernières paroles ; il ne semble point qu’elles fussent grosses d’une menace ; le jeune roi paraît avoir été réellement à cette époque séduit par les grands projets de Coligny ; celui-ci voulait attaquer l’Espagne non-seulement aux Pays-Bas, mais dans les Indes ; il travaillait à cette alliance entre les princes protestans allemands et la France, qui, depuis, servit si puissamment à abaisser la prépondérance espagnole ; il songeait à donner comme garantie à la liberté religieuse en France de grands services rendus à la couronne. Charles IX parut charmé, entraîné par la conversation de l’amiral ; il l’appelait : « Mon père ; » il l’écoutait comme un maître ; il. apprenait les secrets des