au front de l’autre, et puis, passant la tête à la portière, regarda fixement son chef et se sépara la larme à l’œil, avec ces paroles : « Si est-ce que Dieu est très doux. » Là-dessus ils se dirent adieu, bien unis de pensée, sans en pouvoir dire davantage. Ce grand capitaine a confessé à ses privez que ce petit mot d’ami l’avoit relevé et remis au chemin des bonnes pensées et fermes résolutions pour l’avenir. »
La bataille de Moncontour fut un véritable désastre pour la cause protestante : Coligny, qui n’avait pas assez de cavalerie, avait trop étendu ses cornettes, pour faire croire aux catholiques qu’il était plus fort qu’il n’était ; mais les vieux routiers qui étaient avec le duc d’Anjou n’y avaient pas été trompés et avaient disposé leurs cavaliers en gros bataillons ; ceux-ci donnant à corps perdu sur les haies de casaques blanches les avaient aisément rompues, quelque grêle d’arquebusades qu’on pût faire pleuvoir sur eux ; car Coligny avait coutume de mêler très habilement les arquebusiers et les cavaliers. Tavannes décida la victoire en allant chercher les Suisses et en leur faisant doubler le pas. Monsieur, emporté par l’envie de charger, les avait laissés en arrière et s’était jeté en avant avec les reîtres du marquis de Bade ; les Suisses et Biron le dégagèrent et terminèrent la journée. Quand on lit les récits détaillés de cette bataille, on est frappé de voir combien d’étrangers il y avait des deux côtés : Français, Allemands, Bourguignons, Italiens, Suisses, Flamands, Anglais même (il y avait une cornette anglaise), purent éprouver mutuellement leur courage. Le duc d’Anjou avait eu avec lui le comte de Westembourg, les deux rhingraves, le comte Santa Fiore, le comte Paul Sforza, le comte Disti, Santelli, Cléry, Pfiffer, Henry Champernowne ; Coligny avait le comte Ludovic de Nassau et Mansfed. La bataille ne dura que deux heures ; les catholiques ne firent que de très faibles pertes. Monsieur poursuivit les vaincus au pas ; il avait, grâce à Tavannes, remporté une victoire signalée, et l’on peut s’étonner qu’il n’ait pas davantage inquiété les protestans dans leur retraite, car il avait toutes ses forces presque intactes, il était entouré de la noblesse catholique, exaltée par sa victoire, et lui-même avait témoigné pendant la journée de Moncontour d’une ardeur presque téméraire.
« Qui eût jamais cru, dit Brantôme, qu’après une telle bataille de Moncontour perdue et si grande déroute, ce capitaine eût pu si bien se remettre ? Il me semble que je vois Brute et Casse, qui sortirent de Rome, qui par une porte, qui par l’autre, comme gens perdus et vagabonds, et en moins d’un an mirent une armée de cent mille hommes sur pied et livrèrent la bataille de Philippes. » Brantôme raconte que Genlis osa dire à l’amiral après Moncontour : « Eh ! mon Dieu, monsieur, qui eût jamais pensé aussi que vous