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où ils furent reçus avec de grandes démonstrations de joie. L’entreprise de Condé et de l’amiral était bien téméraire. Sans doute, La Rochelle était une base d’opérations très solide, et de cette place on pouvait librement communiquer avec l’Angleterre, mais on risquait ainsi de se mettre un peu trop dans une dépendance incommode ; d’autre part, en s’enfonçant dans la Guyenne, on s’éloignait beaucoup de l’Allemagne et des. mercenaires, qui devenaient malheureusement indispensables dans toutes les guerres. On n’était plus, comme à Orléans, en état de « muguetter » la ville de Paris, en se plantant au bord de la mer, dans des îles, parmi un peuple de trafiquans, on s’isolait un peu trop du reste de la nation. Mais les protestans n’avaient guère le choix ; on leur avait pris Orléans, ils durent mettre en œuvre les ressources de La Rochelle. Coligny se hâta d’organiser une flotte ; il fit pour l’armée de terre des règlemens copiés sur ses fameuses « ordonnances ; » il envoya des négociateurs au-delà du Rhin et en Angleterre. Le cardinal de Châtillon avait été recherché et poursuivi en Beauvaisis, mais il avait réussi à gagner les côtes de la Manche et s’était réfugié en Angleterre. Il y devint naturellement le représentant de la cause des réformés auprès d’Elisabeth. D’Andelot avait eu l’adresse d’échapper aux troupes royales ; il avait, avec une bonne troupe, franchi la Loire, il était entré dans Thouars, avait pris Parthenay et avait rejoint son frère, qui s’était porté à sa rencontre. Il amenait avec lui Montgomery, le vidame de Chartres et La Noue.

La guerre était recommencée : Coligny et d’Andelot s’emparèrent de Niort, de Melle, de Fontenay-le-Comte, de Saint-Maixent ; avec Condé, ils prirent Angoulême, Saint-Pons et Blaye ; les protestans occupèrent Saintes, Saint-Jean-d’Angely et Taillebourg. « En moins de deux mois, dit La Noue, de pauvres vagabonds qu’ils estoyent, ils se trouvèrent ès mains des moyens suffisans pour la continuation d’une longue guerre.  » Nous ne raconterons pas la campagne de 1568. Le duc d’Anjou, qui avait pu rallier Montpensier, commandait à vingt-sept mille hommes, dont vingt mille fantassins et sept mille cavaliers. Tavannes était le guide militaire ; du jeune prince et le véritable général de sa belle armée. Condé avait des troupes moins éprouvées, mais son armée s’élevait à près de trente mille hommes. Il n’y eut point de véritable bataille, seulement quelques actions de détail, quelques villes prises ; un froid terrible empêcha les deux armées d’en venir aux mains et les força à prendre des quartiers d’hiver. Condé cantonna ses troupes dans le Poitou et alla conférer à Niort avec Jeanne d’Albret sur les affaires du parti. On dépêcha encore une fois vers Elisabeth, bien qu’elle eût toujours auprès d’elle le cardinal de Châtillon. La reine d’Angleterre avait mis à la disposition de Condé un prêt de 200,000 écus, dont le