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s’attendaient pas à pareille fête, ne purent résister au choc des vieux soldats protestans ; ils s’enfuirent en désordre, « et s’en souvinrent longtemps.  » Coligny s’acharna un peu trop dans sa poursuite ; il fut pris en flanc par la cavalerie fraîche de Chavigni ; un cheval turc qu’il montait, et qui avait la bouche dure, rompit sa bride, l’emporta parmi les fuyards catholiques ; il réussit avec peine à sortir de la mêlée et à rentrer à Saint-Denis. La bataille, un moment gagnée par les protestans, était perdue pour eux, mais le connétable avait été blessé à mort et les catholiques se trouvaient sans chef. Le lendemain même du combat, d’Andelot parcourait la plaine Saint-Denis avec cinq cents chevaux, comme pour braver les Parisiens ; Condé s’acheminait vers Montereau et s’enfonçait dans l’est pour joindre les renforts allemands qu’il attendait. La Rochefoucauld lui amena à Montereau dix-huit cornettes et vingt-sept enseignes venant du Poitou et de la Guyenne. Quelque temps se passa en conférences pour la paix : car des deux côtés on était mal préparé pour une longue lutte. Les confédérés avaient besoin du secours qu’ils avaient demandé à l’électeur palatin, Frédéric le Pieux. Celui-ci avait eu quelques hésitations ; si l’ardeur de son calvinisme le poussait à aider les réformés français, il ne voulait pas se mettre en guerre ouverte avec le roi de France. Il laissa partir avec les reîtres son fils Jean-Casimir, un cadet qui avait sa fortune à faire et qui cherchait les occasions. Le duc Casimir, désireux de se faire un nom, avait réuni une véritable armée : six mille cinq cents chevaux, trois mille fantassins et quatre pièces de campagne. Les confédérés l’attendaient en Lorraine ; ils croyaient, dit La Noue, qu’on n’aurait pas mis le pied dans cette province « que les coqs des reîtres ne s’entendissent chanter,  » mais, après y avoir séjourné quelques jours, ils n’en avaient encore aucune nouvelle ; la noblesse protestante commençait à murmurer ; « le prince de Condé, qui estoit d’une nature joyeuse, se mocquoit si à propos de ces gens si cholères et apprehensifs, qu’il faisoit rire ceux mesmes qui excédoyent le plus en l’un et en l’autre ; de l’autre costé, Monsieur l’admiral, avec ses paroles graves, leur faisoit tant de honte qu’enfin ils furent contraints de se radoucir et rapaiser.  » On eut enfin des nouvelles du duc Casimir, et ce n’étaient plus que « chansons et gambades » dans le camp. Les reîtres s’attendaient à toucher tout d’abord 100,000 écus, Condé n’en avait pas 2,000 ; le prince et Coligny demandèrent à tous les gentilshommes une contribution volontaire ; tout le monde donna, a jusqu’aux goujats des soldats.  » On réunit bien ainsi 80,000 écus, tant en argent monnoyé qu’en vaisselle et chaînes d’or.

Les reîtres payés, on tint un conseil de guerre ; sur l’avis de Coligny, il fut résolu qu’on marcherait dans la direction de Paris, avec