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qu’il s’était tenu à la cour un conseil secret où l’on avait délibéré de les arrêter tous deux, de faire mourir l’amiral et de garder Condé prisonnier ; on devait mettre deux mille Suisses dans Paris, deux mille dans Orléans et deux mille dans Poitiers, casser l’édit d’Amboise et le remplacer par un autre « du tout contraire. » Les cerveaux s’échauffèrent, on se demanda s’il fallait se laisser lier les pieds et les mains et traîner aux échafauds. Trois mille personnes de la religion avaient péri depuis la paix, et à toutes les plaintes on n’avait fait que des réponses frivoles. En vain Coligny conseilla-t-il encore la patience. « Je vous demande, répliqua d’Andelot à ceux qui parlèrent contre la prise d’armes, si vous attendez que soyons bannis es païs estranges, liez dans les prisons, fugitifs par les forests, courus à force du peuple, mesprisez des gens de guerre et condamnés par l’authorité des grands, comme nous n’en sommes pas loin, que nous aura servi nostre patience et humilité passée ? Que nous profitera alors nostre innocence ? A qui nous plaindrons-nous ? Mais qui est-ce qui voudra seulement nous ouïr ? » Tout le monde se résolut enfin de recourir à la force, et l’on discuta un plan de campagne. On songea d’abord à mettre la main sur Orléans ; mais Orléans était dominé maintenant par une citadelle. Il était oiseux de prendre de petites places qu’on ne pourrait pas garder ; Coligny fut d’avis de « composer une armée gaillarde, » et de marcher droit aux Suisses pour les tailler en pièces. Sans doute le cardinal de Lorraine et le roi marchaient toujours avec les Suisses, et l’on pourrait dire que l’entreprise avait été faite non contre le cardinal et les Suisses, mais contre le roi lui-même : on répondrait qu’on voulait délivrer le roi, et, si l’on réussissait, on empêcherait une longue et ruineuse guerre.

Le rendez-vous fut pris à Rozay-en-Brie ; Condé s’y trouva avec Coligny et ses frères, La Rochefoucauld et quatre cents cavaliers. Mais la rapidité de la marche des Suisses déjoua les projets des conjurés. Le connétable ayant réussi à mener le roi à Paris, Condé vint mettre son quartier général à Saint-Denis le 2 octobre, et commença le blocus de la capitale. Son armée s’était grossie au chiffre de six mille hommes : quatre mille fantassins et deux mille cavaliers. Le connétable, ayant appelé à lui les bandes de Strozzi et de Brissac, avait dix-neuf mille hommes sous ses ordres. Malgré l’infériorité de ses forces, Condé se décida à accepter la bataille et mit le gros de ses forces en avant de Saint-Denis. L’amiral était à Saint-Ouen, avec la cavalerie de l’avant-garde ; ses troupes repoussèrent les catholiques. En poursuivant les gendarmes, « Coligny, dit le duc d’Aumale, rencontre le régiment des Parisiens, qui, « bien dorez comme calices, » cherchaient à prendre leurs rangs avec l’inexpérience de guerriers improvisés sortis le matin de leurs maisons. Ce fut l’affaire d’un moment ; les volontaires, qui ne