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villes du Soudan ou des bords de la Mer-Rouge. La plus complète fantaisie a présidé à la distribution de ces châtimens. Pour le même crime, deux coupables ont été traités de la manière la plus différente. D’où est venue tantôt l’indulgence, tantôt la sévérité ? Nul n’a pu le savoir. Mais une mesure malheureuse a jeté sur toute cette opération un discrédit profond. On a imaginé d’exiger de chaque condamné une caution proportionnée non à sa défaite, non à sa peine, mais tout simplement à sa fortune présumée. Des centaines de questions d’argent ont donc été soulevées et résolues dans l’ombre d’une administration égyptienne, sans aucun genre de contrôle, sous la direction de M. Broadley, plaidant pour ses cliens ou cherchant à en obtenir de nouveaux. Ai-je besoin de rapporter les suppositions que cette manière de procéder a fait naître et a propagées ? Il n’y a pas de pays plus prompt que l’Egypte à porter sur de simples apparences les jugemens les plus calomniateurs ; mais ici il faut convenir que les apparences ont été déplorables, et que si, par aventure, il y a eu calomnie, on n’a rien fait pour l’éviter.

Après les jugemens fictifs, les élargissemens arbitraires, le rôle de M. Broadley au Caire était terminé. Il ne lui restait plus qu’à faire signer à Arabi un testament politique et qu’à l’embarquer pour le lieu de son exil. Le testament d’Arabi a pris la forme d’une lettre adressée au Times, lettre tellement curieuse, tellement significative que je ne puis résister au désir de la citer in extenso. La voici :


Au directeur du Times :


Monsieur,

J’ai suivi l’avis de mes avocats, MM. Broadley et Napier, dont je ne pourrai jamais reconnaître assez le zèle et le dévoûment, et je me suis reconnu coupable devant mes juges du chef de rébellion contre le khédive. Les ministres anglais m’ont souvent proclamé rebelle, et je ne dois pas m’attendre à les voir soudainement changer d’opinion ; ils ne le pourraient pas d’ailleurs en ce moment. Je me rendrai volontiers n’importe où il plaira à l’Angleterre de fixer ma résidence et j’y demeurerai jusqu’au jour où il sera possible à l’Angleterre de modifier son opinion en ce qui me concerne.

Je ne me plains pas de ma destinée ni du jugement qui a été prononcé contre moi et qui, — en tout cas, — établit mon innocence vis-à-vis des accusations de massacres et d’incendie, crimes auxquels je n’ai jamais pris la moindre part et qui étaient absolument contraires à mes principes politiques et religieux. Je sais que ma situation dépend désormais de l’Angleterre et de la générosité du peuple britannique. Je quitte