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résigner ses fonctions. À peine l’avait-il fait que, contrairement aux usages de l’Orient, sa maison ne désemplît plus de visiteurs indigènes et européens. Puisqu’on parle toujours de sentimens nationaux, on peut dire qu’en cette circonstance la conscience de Riaz-Pacha a été celle de la nation égyptienne tout entière.

Le procès d’Arabi n’était que le prélude d’une série de procès r semblables conduits avec la même désinvolture et d’après les mêmes procédés. Mahmoud-Samy, Mahmoud-Fhemy, Toulba, Abdel-Al, Ali-Roubi, etc., défilèrent tour a tour devant la cour martiale pour y subir le sort de leur chef. Cependant, il était impossible de soumettre tous les rebelles à un jugement par-devant la cour martiale ; si sommaire qu’il eût été, il aurait toujours duré quelques minutes : les minutes font des heures, les heures des journées, et l’on voulait en finir d’un seul coup. On résolut donc de substituer à la procédure judiciaire le pur arbitraire des jugemens par décret. La démission de Riaz-Pacha avait amené le changement du ministre de l’intérieur. Le nouveau titulaire, Ismaïl-Pacha-Eyoub, avait été le président de la commission d’enquête, et, dans l’exercice de ses fonctions, il s’était toujours appliqué à mériter l’estime de sir Charles Wilson et de M. Broadley. Il y avait si bien réussi que ce dernier crut devoir, à l’issue du procès d’Arabi, lui adresser, en son nom et au nom de M. Napier, une lettre publique dans laquelle il le remerciait chaleureusement de sa bonne conduite. Cet étrange certificat donné par l’avocat des accusés au juge d’instruction avait contribué beaucoup à la nomination. d’Ismaïl-Eyoub au ministère. Nul homme n’était donc mieux préparé que lui à la besogne de la liquidation sommaire des suites de la rébellion. Sir Charles Wilson et M. Broadley l’ont d’ailleurs secondé de leurs conseils constans. Le scandale du procès d’Arabi a été dépassé par celui des décrets prononcés à tort et à travers contre les autres accusés.

Les Anglais ne cessent de répéter dans leurs journaux que les anciens ministres égyptiens étaient des tyrans, des despotes, des hommes sans principes et sans lois, parce qu’il leur arrivait parfois de condamner par simple mesure administrative les brigands des provinces à l’exil ou au bannissement. C’est un des abus de l’ancien régime qu’ils promettent surtout d’abolir en Égypte. Or, le premier acte qu’ils y ont fait eux-mêmes a été de charger le ministre de l’intérieur de préparer une série de décrets d’exil, de bannissement, de résidence en un lieu déterminé. Aidé des lumières de M. Wilson et de M. Broadley, Ismaïl-Eyoub a prononcé des centaines de peines diverses contre les chefs de la rébellion. Les uns ont dû aller s’établir-pour vingt ans dans leurs propriétés, les autres ont dû quitter l’Égypte, d’autres ont été internés dans certaines